Tragique, nostalgique, mélancolique, décevant, autant de qualificatifs familiers pour décrire la fin de carrière d'un cinéaste. Radical serait le plus adéquat à l'encontre de Bava. Sueur livide, sourires carnassiers, confinés dans une bien étroite automobile, Bava dévale la pente et nous traîne dans un univers de bruit et de fureur. Difficile de distinguer le style originel du baroque cinéaste italien. Certes, la mutation stylistique n'est pas rare chez Bava mais on ne peut nier que Rabid Dogs reste un virage serré . Des cadres crus dépossédés du moindre artifice baroque, un éclairage quasi exclusivement naturel. Ne reste que quelques touches éparses, plus des clins d’œils qu'un véritable parti prit artistique. Ce sont les gants des tueurs, dont l’élégance du cuire n'a d’égale que la sophistication meurtrière. C'est la féminité violentée et réduite au simple statut de mannequin de chaire. Cet abrupte virage esthétique était déjà observable dans La Baie Sanglante en 1971, toutefois Bava ne coupait pas complètement le cordon et nous laissait dans le bain amniotique le temps d'une brillante et baroque scène d'introduction très giallesque. Ajouter à ça des appartements au mobilier gothique, des lieux délabrés aux allures de manoir hanté, de l'occulte, une nuit au bleu particulièrement marin et la savante synthèse de l'ancien et du renouveau scintillait à l’écran.
Épousant au point de s'y perdre le genre en vogue du moment, un poliziottesco donc, où sadisme et kidnapping écument frénétiquement et main dans la main les routes italiennes. Les pneus crissent, les balles pleuvent, les insultes fleurissent, danse effrénée qui swing sous la cadence de Cipriani. Le postulat, télégraphique : des braqueurs en cavale, des otages comme tickets du péage salutaire et de la violence en prévision. Seul manquement à la règle et non des moindres, une absence de la police. Pas de face à face ici, les garants de l'ordre étant très vite semés dans la poussière. Table rase du propos politique, la fibre misanthrope de Bava peut s’étendre à loisir et tout ce petit monde avide causera lui même sa perte.
L’écriture n'a jamais été la force ni la source d’intérêt principale de Bava. Dans ses meilleurs films la puissance des images, l’ingéniosité technique alliée à une élégance narrative parvenaient à transcender une histoire brouillonne. C'est ici un échec. Un découpage boiteux dont le mot d'ordre semble être la répétitivité. Des gros plans en pagaille sur des acteurs cabotins. Il y a visiblement erreur sur la marchandise, on nous parlait de chiens enragés et l'on nous assène des hyènes hystériques. Les bestioles ricanant et hurlant copieusement dans les micros une cacophonie saturée de dialogues, au choix, graveleux ou ineptes, souvent les deux. On tombe dans ce décalage nanardeux gênant où ce qui fait rire aux éclats les personnages est en réalité absolument pathétique et ennuyeux. Certes c'est voulu, mais en aucun cas crédible, essayé de le faire avaler au spectateur à coup d'entonnoir ne fait qu'empirer la chose. Car il y a une frontière entre l’épuisement et l’agacement. Tympans assourdis, tempes agonisantes et dents grinçantes voilà l'effet que procure Chiens Enrages. Une sensation plus similaire à la douloureuse digestion d'un poulet avarié qu'une nausée induite par l'objet filmique souhaité dérangeant.
C'est sans compter les scènes de tension ou suspens d'une mollesse indigne de Bava, des personnages à l’ambiguïté amputée prenant les rails du stéréotype au fur et à mesure qui le film file. Une incapacité à rendre l’intérieur de cette voiture oppressant et pesant. Embêtant, quand la quasi totalité du film se déroule en son sein. Une volonté de filmage naturaliste qui anéanti totalement la plastique originelle du cinéaste. Pire, Bava semble fatigué, les symboliques énoncées lourdement dans des dialogues fatiguant de bêtise. Une belle idée pourtant, la femme martyre en Vierge Marie, acmé religieuse de la pureté, souillée, dans la brutalité la plus crasse, profanée, dans la violence la plus injustifiable.
Que reste t-il à la fin ? Un film où toute l'horreur du monde nous éclate à la figure. L'assassin du giallio, un mirage. Dévêtu de la pudeur, le meurtrier opère dorénavant à visage découvert et ciel ouvert, un soleil de plomb en guise de tranchoir. Un testament nihiliste qui a le mérite d'être intelligible à défaut d'être audible...