Le poids des souvenirs et la fatalité de la vie

Les choses de la vie est le premier film du trio Claude Sautet-Romy Schneider-Michel Piccoli qu'on reverra ensemble l'année suivante pour Max et les Ferrailleurs. C'est aussi pour Claude Sautet le film qui le fera connaitre comme cinéaste d'exception, son premier gros succès public et la première d'une longue et fructueuse collaboration avec Romy Schneider.

Après un accident de la route, un homme se remémore son passé, ses amours mais aussi ses doutes. Michel Piccoli est cet homme envahis par le doute, qui vient de subir un terrible accident de voiture et dont on ne connait pas le statut vital. A priori il est encore vivant et conscient, puisqu'il va devenir le narrateur du film, Claude Sautet choisissant pour son film une narration au moyen de la voix off et du flashback. C'est donc Michel Picolli lui-même qui nous raconte les jours précédents l'accident. Pierre (Miche Piccoli) coule des jours heureux avec sa nouvelle jeune et très jolie compagne Hélène (Romy Schneider), mais n'a jamais vraiment oublié son ex-femme Catherine (Léa Massari).

Très vite le film nous fait comprendre que Pierre n'a pas complètement tourné la page avec sa première épouse Catherine (mais le veut-il vraiment ?) et hésite encore à tout abandonner (job, amis de longue date, ex-femme et enfant) pour refaire sa vie avec Hélène en Tunisie. Pierre est indécis, il doit choisir entre Catherine qui symbolise le passé et des jours heureux à l'île de Ré et Hélène qui symbolise le présent, une femme plus jeune que lui et belle à mourir. Mais de quoi sera fait son futur, va-t-il quitter Hélène et retourner avec Catherine ou va-t-il définitivement tourner la page du passé et construire un avenir commun avec Hélène ? Le film fait des petits bonds dans le temps en fonctions de l'humeur et des souvenir de Pierre. C'est ainsi que le personnage de Pierre se dessine, beaucoup plus complexe qu'on ne le pensait (d'où ses doutes). C'est un personnage énigmatique, parfois froid, parfois enjoué. Est-il compatible avec le bonheur ? On peut se le demander. Le film finira par nous donner la réponse quelque heures avant l'accident. Mais voilà, c'est peut-être cet accident de voiture qui risque de choisir pour lui, finalement. Et c'est alors qu'on se rend compte à quel point la vie est fragile et qu'il faut profiter de chaque instant présent.

A travers plusieurs films, Romy Schneider et Michel Piccoli formèrent un couple légendaire et inoubliable, mais c'est surtout pour Les Choses de la vie qu'on se souviendra d'eux. On ne dira jamais assez à quel point Romy Schneider était une merveilleuse actrice, trop tôt disparue, une des plus grandes et à coup sûr des plus émouvantes par son regard de biche et sa voix au léger accent germanique. Bien que très belle et sexy en diable, c'est l'anti-bimbo, c'est l'incarnation de l'héroïne romantique, celle qu'on n'oubliera jamais. Claude Sautet a réussi à nous faire oublié Sissi l'Impératrice. Romy n'est plus Sissi, maintenant elle est l'éternelle Romy Schneider. Michel Piccoli quant à lui est un acteur qu'on ne présente plus, au physique très impressionnant et à la carrière prestigieuse. Il s'en dégage beaucoup de classe, avec un regard très noir, impénétrable, un beau visage assez fermé, qui sont des atouts lui permettant d'exceller dans les rôles de personnages énigmatiques, souvent de pouvoir comme ici, froids et apparemment insensibles. Mais ici il m'a paru plus sensible et touchant qu'à son habitude, un peu de lumière dans les yeux et de sentiment sont passés dans son regard posé sur Romy Schneider.

Les Choses de la vie est le premier film personnel de Clade Sautet, un film qui manifestement lui tenait particulièrement à cœur, tellement il semble avoir été minutieusement pensé et préparé. C'est peut-être son film le plus complexe dans la narration et le plus inventif dans sa mise scène. On a le droit à de magnifiques fondus enchainés entre les souvenirs du passé et du présent, de beaux traveling arrière, des insertions de séquences de l'accident impressionnants et de plans qui permettent de distinguer rêves et hallucinations. La narration est donc complexe avec beaucoup de sauts dans le temps, d'introduction de personnages et la voix-off qui traduit les pensées de Pierre. Mais la narration est tout sauf lourde, il n'y a aucun personnage fonction, ils ne parlent jamais pour ne rien dire et ne donnent pas l'impression d'être là juste pour donner des indications au spectateur. Non, tous vivent leur vie, un instantané de vie. Mais du coup les 1h28 du film, voir plutôt 1h20 sans générique, c'est trop peu pour nous raconter tout ce qu'il a à dire. Il aurait fallu 30 minutes de plus pour approfondir les relations entre les personnages et mieux les introduire dans le récit. C'est surtout le premier tiers du film qui n'est pas toujours très clair et il nous faut bien 15 à 20 minutes pour se sentir à l'aise avec les personnages.

Si Michel Piccoli incarne un personnage énigmatique et indécis, Claude Sautet quant à lui a une idée très clair du message qu'il veut faire passer avec son film. Le récit est construit comme une tragédie romantique ... on sait que tout ça, ça ne peut que finir mal. On pouvait donc craindre une fin abrupte ou ouverte, sans que de réponses soit données sur le questionnement de Pierre. Mais fort heureusement pour nous, la fin du film est inattendue et très satisfaisante ... à la hauteur de nos attentes.