Abandonnant les costumes fin XVIIIe de Mademoiselle de Joncquières, Emmanuel Mouret retourne au contemporain et à la comédie sentimentale avec son dernier film Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Un jeu de rencontres et de tourments amoureux où tout est raffinement.
VAS ET VIENS
Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait. À travers ce titre malin et évocateur, Emmanuel Mouret continue d'explorer son penchant pour la comédie sentimentale, tout en apportant un vent nouveau, plus mélancolique. De Laissons Lucie faire ! (2000) en passant par Changement d’adresse (2006) ou Caprice (2015), on connaissait le cinéaste farceur, apportant au vaudeville une fraîcheur bienvenue, tour à tour burlesque, théâtral et léger. Bien qu’on puisse ne pas trouver ça d’une originalité renversante, le cinéma de Mouret s’affirmait alors comme un des représentants français du cinéma de Woody Allen. À l'image de son comparse américain, Mouret nous prouve que la frontière entre comédie et drame est souvent poreuse.
Dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, le ton est plus grave, plus mélancolique, peut-être plus tourmenté. Un ton qui sied parfaitement au cinéma de Mouret, qui gagne en impact émotionnel et en finesse.
De cette comédie dramatique chorale, Emmanuel Mouret apporte un jeu de boomerang narratif extrêmement malin. Jouant avec nos désirs, s’amusant de nos frustrations - grâce à des ruptures malines, à l'image d'une fin d’épisode de série, nous invitant à suivre ce programme croustillant. À travers cette fresque sentimentale, il orchestre des vas-et-viens entre les histoires de chacun, oscillant entre légèreté et gravité. Un récit qui se balade au gré des discussions et des humeurs, sachant resserrer habilement les enjeux pour faire résonner l’ensemble dans une parfaite harmonie. C'est donc un programme alléchant que nous propose le réalisateur de Mademoiselle de Joncquières (2018). Aussi ludique que fluide, le film voit les thématiques chères au cinéaste se côtoyer et s’enlacer dans une structure scénaristique savoureuse : entre hasards, hésitations et secrets.
Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait parle de nos contradictions, de nos tentations, nos désirs réprimés, de la valeur morale face à la culpabilité, confrontant les paroles de ses personnages à leurs actes ; nous renvoyant, nous spectateurs, à nos failles. Le film peut s’appuyer de nouveau sur une écriture enlevée, appuyée par des dialogues d’une grande élégance et souvent, d’une belle malice : « Si tu veux coucher avec moi, il faut que tu arrêtes de dire que tu m’aimes » ou encore « Qu’est-ce que je me sentais bien avec toi… Mais c’est vrai que je n’avais pas d’attirance » pour ne citer qu’eux. Le reste, nous le laissons au plaisir de la découverte. Il n’empêche que son style s’affine, son geste devient plus gracieux.
LES TOURMENTS SENTIMENTAUX
Tout l’intérêt du film est de prendre le contre-pied de la rigueur morale. Il s’agit de nous saisir dans nos contradictions. En somme, de tendre un miroir aux yeux du spectateur. En épousant les désirs de ses personnages, les sentiments, les histoires, Mouret en explore leurs failles. Et c’est exactement ce qui les rend beaux et touchants. Et d’émotion, il en est clairement question, tellement elle creuse son sillon au fur et à mesure que le métrage avance. C’est notamment grâce à la diversité de sa galerie de personnages, incarnés avec des tonalités diverses, toutes justes, par une pléiade d’acteurs tous très en forme.
Camélia Jordana, qui, de film en film, s’affirme comme une interprète de talent. Elle donne un contrepoids lumineux à la fragilité contagieuse de Niels Schneider, impressionnant par sa présence et son charisme, même lorsqu’on lui demande de jouer la timidité, la maladresse et la retenue. Autre surprise, Vincent Macaigne, abandonnant son costume de dandy paumé et maladroit pour un rôle sérieux bouleversant. Les seconds rôles offrent une répartie loin d’être en reste. À commencer par Jenna Thiam, d’une énergie pétillante et communicante. Emilie Dequenne, quant à elle, est toujours impériale, capable de changer de registre de jeu rapidement avec une aisance déconcertante. Elle est l’un des personnages les plus touchants du film.
Le cinéma de Mouret se bonifie avec le temps. Il signe ici peut-être son plus beau film, incontestablement son plus émouvant. L’universalité de son propos, la diversité de ses personnages et sa construction scénaristique d’une grande maturité. Tout cela fait de son dernier film, un petit bijou.
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