[Critique à lire après avoir vu le film]
Le style d’un cinéaste, chose si essentielle à mes yeux, se bâtit essentiellement sur un entêtement : entêtement à maintenir des constantes d’un film à l’autre. Emmanuel Mouret a un style en raison d’un certain nombre d’invariants, ici parfaitement agencés.
Chez Mouret, on cause. C’est ce qui suggère immédiatement le rapprochement avec Rohmer (cinéaste décidément très influent), notamment ses fameux Contes moraux. Mouret aime les récits s’emboîtant les uns dans les autres à la manière des poupées russes, il s’en donne à cœur joie ici. Ainsi, Daphné raconte à Maxime son histoire avec François, puis le déjeuner avec Stéphane, le nouveau compagnon de Louise. A la fin du film, François raconte à Maxime sa rencontre par hasard de Stéphane, qui lui a raconté la supercherie de Louise. Maxime va trouver Louise, qui lui raconte comment elle a découvert, de nouveau par hasard, son adultère, et décidé de monter cette comédie. Pas du tout par vengeance, là est la très belle idée du film. Tout est à l’avenant, et il faut saluer la maîtrise avec laquelle cette mécanique est réalisée à l’écran : c’est constamment fluide, presque toujours captivant.
Une différence avec Rohmer : Mouret choisit presque toujours de mettre en image chaque histoire. Un invariant, qu’on retrouve, entre autre, dans Un baiser s’il vous plaît et dans L’art d’aimer. Le cinéaste nous montre des gens qui racontent des scènes… où les gens parlent. Amateur de film d’actions, s’abstenir ! On est dans le marivaudage amoureux et le siècle de référence de Mouret est décidément celui de Musset. La musique ancre bien sûr son cinéma dans cette époque, même si nous allons la déplorer un peu plus loin.
Le caractère très littéraire des dialogues aussi, que nous allons, lui, déplorer maintenant : je dois dire que mettre dans la bouche des personnages des répliques telles que « nous n’allons pas vivre ensemble » au lieu de « on va pas vivre ensemble » sonne à mes oreilles comme une coquetterie dans le cadre d’un film contemporain. On trouvait ça aussi chez Rohmer, mais d’une part le langage à l’époque était plus littéraire qu’aujourd’hui, d’autre part on n’est pas forcé de l’approuver parce que c’est l’intouchable Rohmer... Ce genre de dialogue me fait sortir de la scène et je n’en vois pas la justification – d’autant que c’est ici loin d’être généralisé, donc pas assimilable à un parti pris comme chez Bresson, référence incontournable en matière de jeu faux…
Au moins Mouret nous épargne-t-il pour cette fois les acteurs qui jouent faux, lui-même ou Frédérique Bel par exemple, c’est déjà une bonne chose. Camélia Jordana, en particulier, épate : sobre, vibrante, magnétique. Vincent Macaigne a toujours son côté gros nounours, si peu sexy que j’avoue avoir toujours du mal à croire à ses conquêtes – ce film ne fait pas exception. Emilie Dequenne, eh bien, elle c’est une grande actrice, elle le prouve à nouveau (même si quelques répliques sonnent faux, Mouret a réussi ça avec ses dialogues). Niels Schneider a tout du jeune homme romantique sincère et délicat. Guillaume Bouix amène sa présence singulière, avec ce torse haut et ces yeux qui dardent. Jenna Thiam est provocante et mutine à souhait. Pas une faute à déplorer.
Les choses qu’on dit : le film se présente comme une série d’illustrations de théories sur l’amour. Ainsi, Sandra dénie-t-elle toute réalité au sentiment amoureux et refuse-t-elle l’attachement, sans parvenir à mettre cette belle idée en pratique : elle revient sans cesse à son Gaspard. Sa sœur, Victoire, sur la même ligne, finit par s’attacher à Maxime et se l’approprier, c’est elle la victorieuse. Daphné, refusant elle aussi de s’engager au début du film, ne parviendra pas à quitter François, en grande partie parce qu’elle est enceinte (rappelons que, dans la mythologie grecque, Daphné est fécondée par Zeus à l’aide d’une pluie d’or). A ces femmes qui refusent l’engagement, Mouret en oppose deux qui le vivent pleinement : Louise, qui s’en tient à l’homme qu’elle a choisi, et Julie, qui refuse d’embrasser Gaspard tant qu’il est « pris » - « c’est un principe », dit-elle et, comme tous les personnages du film, elle va bien sûr négocier avec ce principe.
Tous ces échanges sont placés sous le patronage de René Girard et son fameux désir mimétique. Mouret insère astucieusement le philosophe (même si ce n’est pas lui qu’on voit à l’écran ?) dans son récit puisque Daphné monte un reportage sur lui. Maxime s’en est emparé et l’a montré à sa femme, c’est ainsi que la théorie se propage dans la ronde que forment les personnages. Tout le film est une illustration de ce principe : on désire ce que désire autrui. Maxime et Daphné s’éprennent l’un de l’autre parce qu’ils se dévoilent en êtres désirés ou désirant. Se confier des choses intimes c’est déjà se rapprocher, la suite physique devient dès lors logique : on la voit venir dès le début du film, Mouret navigant entre les choses qu’on attend (essentiellement ça) et celles qui surprennent (la mascarade montée par Louise et sa signification), avec beaucoup de doigté.
On pense aussi à Woody Allen, mais avec tout de même un sens de l’humour nettement moins acéré... Une scène de quiproquo assez maladroite sur le langage entre Maxime et Gaspard, quelques saillies entre amoureux, on n’est pas ici dans le même registre que Fais-moi plaisir, l’une des plus belles réussites de Mouret, inspiré dans le burlesque. Les idées sont parfois assénées avec lourdeur : - le plaisir ça va avec l’amour, non ? - oui mais il peut y avoir plaisir sans amour. Scoop. Mouret commet aussi quelques fautes de goût, comme cette scène gnangnan au possible montrant Maxime et Daphné jouant comme des gamins à s’asperger d’eau, visitant une abbaye ou lisant le long d’un mur, pour créer l’indispensable complicité à la suite du récit. J’ai aussi levé les yeux au ciel quand Sandra embrasse Gaspard tout en tenant la main de Maxime. Dans ce genre de scène, l’étiage du film chute sensiblement.
Et puis il y a la musique. Très clichée déjà (Schubert et Chopin quand c’est romantique, l’adagio de Barber quand c’est intense, etc.), et surtout beaucoup trop systématique. Rapidement, je n’en pouvais plus de voir conclure chaque scène par une ritournelle empruntée au catalogue des tubes de la musique classique, parmi lesquels l’incontournable Satie. Certes, j’ai été content d’entendre La chanson de Solveig de Peer Gynt, mais ça c’est parce que je l’ai chanté gamin…
Mais, au chapitre de la réalisation, il faut aussi saluer de belles réussites. La scène où les visages de Maxime et Sandra sont irisés de profil joue de façon savoureuse avec le cliché puisque, précisément, Maxime réalise là un fantasme. Les choses qu’on se dit et les choses qui se font, là aussi il y a un décalage. Finalement, c’est avec Daphné qu’il vivra le grand frisson romantique. Mais parviendra-t-il à le mettre en mots, lui qui aspire à être romancier ?... Autre belle idée visuelle, Louise se tenant devant une tapisserie, dans laquelle sa coiffure et ses vêtements s’insèrent harmonieusement. Chacun des films de Mouret recèle quelques pépites de cet ordre.
Le désir et le mensonge, tels sont peut-être finalement les deux thèmes du film. Stéphane Brizé avait traité superbement ce sujet dans Entre adultes. Le film de Mouret en propose une autre variation, un poil moins corrosive (le film est globalement assez sage), mais fort convaincante aussi. Notre homme trace sa route avec une belle persévérance.
7,5