Le Métis, le Lieutenant et le Cowboy

Toujours un plaisir de découvrir une œuvre démonter un à un les codes du genre auquel il est apparenté, et c’est d’autant plus chouette quand il s’agit ni plus ni moins d’un premier film qui au détour de sa participation à Un certain regard, a remporté le Prix de la critique internationale. Un prix bien moins marqué que la divine Palme d’or, mais qui contribue à donner le sentiment que le premier long-métrage du dénommé Felipe Galvez Haberle pourrait bien être une de ces petites perle du cinéma indé, qui prouve que pour compléter son top 10, il est plus que judicieux d’attendre la date fatidique du 31 décembre. Un film a qui on ne tarit pas les éloges, mais est-ce que ces retours très enthousiastes sont mérités, et qu’est-ce qui le différencie tant de ce genre ô combien éculé qu’est le cinéma historique ?



Ce qu’on peut dire c’est que Les Colons tombe à pic, car au-delà de l’actualité politique, celle cinéphile a été alimentée par un petit film d’une poignée d’heures d’un réalisateur assez méconnu du nom de Martin Scorsese, retraçant la naissance des États Unis sous une Note Américaine salée. Et ça tombe bien car ici, on va rester au début du XXe siècle et en Amérique, mais bien plus au Sud, en fait tout au Sud, sur la Terre de Feu de la dénommée République du Chili. Et après la douloureuse naissance de l’Amérique du Nord, place à celle du Sud, toujours sur un pan non pas historique mais politique. Le long-métrage de Felipe Galvez Haberle va donc user de bon nombres d’artifices esthétiques pour parvenir à ses fins en à peine 1h40. Rien que le trio de tête, composé d’un soldat britannique, d’un mercenaire Américain et d’un métis Américain partis pour « civiliser » le Sud du continent. Une prémisse déjà assez acide dans son rapport social, malgré qu’il soit convenu, arrivant à créant des dissensions plutôt passionnantes entre ceux qu’on peut facilement appeler les propriétaires et les autochtones. Or, au-delà de cette confrontation sociale, il y a aussi une confrontation esthétique dans Les Colons, entre l’écriture et la mise en scène. En effet, Les Colons est un film à la fois extrêmement violent dans son contenu et son discours, et en même temps formellement impeccable dans ses visuels ; il y a un contraste non négligeable qui lie ces paysages magnifiquement filmés et le fond du long-métrage qui est bien plus rugueux, âpre et dur. Un western bien moins sanglant dans ses images que dans ses mots, qui passé une première scène de violence qui donne le ton du métrage et le statut des protagonistes (soit de la chaire à canon), la violence sans être hors champ, sera d’avantage transmise par des outils moins convenu dans ce domaine.

A la manière d’un Inglorious Basterds, Les Colons est parsemé de longues scènes de dialogues desquelles surgissent une violence morale tout d’abord (par rapport aux propos des protagonistes, le contexte,…), voire tout simplement graphique, avec un coup de feu sortant de nul part qui vient sèchement interrompre une de ces-dites scènes et surtout accentuer le propos de ces passages sans passer par quelque chose de plus putassier. De plus, ces-dits dialogues amènent au fur et à mesure une montée de la tension sans équivoque, qui vient donner un peu plus de grain à moudre à la force du film. Alors c’est bien entendu plus sérieux et brutal que chez Tarantino, mais je trouve que le réalisateur a su reprendre une formule presque plus théâtrale, souvent plus attendu dans une œuvre plus comique, pour venir finalement encore plus choquer le spectateur. Se voulant plus subtil et indicible avec un quelque chose d’aussi risqué que le dialogue, le metteur en scène se heurte pour moi tout de même à l’un des problème majeur de son long-métrage : un sentiment de répétitivité. Passé la prémisse tout ce qu’elle a de bien mise en scène et la surprise du procédé narratif, Les Colons se répète, tout en affinant sa formule, mais en combinant un rythme lancinant qui demandera au spectateur de s’accrocher. En effet, le film de Felipe Galvez Haberle est cru, pour ne pas dire viscéral, aussi par rapport à son procédé esthétique, et s’il faut saluer sa teneur, il reste qu’au moins le second tiers de Les Colons m’a personnellement embarrassé, en grande partie car j’ai eu du mal à rentrer dans le procédé que j’ai élagué plus haut. Cependant, le dernier tiers, plus que de renouveler le récit, vient complètement rebattre les cartes et densifier encore plus le long-métrage, autant sur son versant historique que politique ; en ramenant dans sa besace la question de l’art et plus particulièrement du cinéma, comment elle a pu exploiter la violence et la désolation du contexte que mettre la lumière par le biais de la pellicule les opprimés. Cependant, le plus gros problème de ce Les Colons à mon avis, c’est qu’il m’a paru sur certains point inabouti, car en 1h40 de durée, le réalisateur parle de beaucoup de choses en lien avec la colonisation du Chili, cependant, et en particulier lors de ce dernier tiers, j’ai eu le sentiment que tout le fond du métrage n’était pas abouti, pas forcément pour laisser un goût d’échec dans la bouche du spectateur, mais bien plus par rapport aux questions de racisme, de colonisation plus politique, et cette incrustation du cinéma ; en bref des points qui, à la longue, m’ont plutôt dérangé dans leur développement bien que je ne pourrai expliquer pourquoi outre-mesure. L’occasion de tenter un second visionnage pour retenter de rentrer dans ce film dense, impressionnant autant dans ses visuels que dans son propos, qui marque au moins les débuts d’un réalisateur de talent.



Je n’ai jusque là que trop peu parlé d’un point à la fois court et crucial pour parler de Les Colons : la mise en scène. Comme je l’ai exprimé plus tôt, je trouve la mise en scène proprement magnifique, avec un sens du cadrage, de la photo et de la lumière qui met toujours en valeur les paysages comme les personnages. Au-delà des panoramas somptueux et de la belle image, je trouve que cette mise en scène est loin d’être gratuite, et elle vient au minimum créer un vrai contraste avec la rugosité du fond qui est sans cesse rabâché par le contexte scénaristique du film. En réalité là où le scénario de ce Les Colons nous ramène toujours à un sentiment de rugosité, la mise en scène est elle plus aérienne, parfois moins terre-à-terre, et plus que de maquiller, elle vient donner un goût d’inattendu à plusieurs séquences sans jamais paraître là aussi putassière. Le passage qui me plaît le plus à ce niveau, c’est une scène d’attaque très violente dans ce qu’elle raconte mais filmée en plein brouillard. On ne voit pas rien, mais clairement pas tout, suffisamment pour que notre imagination face le reste, au moins par rapport à ce qui est communément admis des tragédies liées à la colonisation du Chili et surtout par rapport au tempérament des protagonistes. Cette scène est magistrale de part sa brutalité tout en reste subtil dans son procédé, et surtout autour des relations entre ce trio, qui est plus que jamais sur le point de basculer. Et justement je n’ai pas encore abordé en profondeur ce trio, incroyablement bien interprété, prenant intelligemment les codes du western en y incorporant le contexte historique et géographique, pour donner une dimension supplémentaire aux questionnements de racisme, d’impulsivité, etc. Là où Les Colons retrace la conquête du Chili, non pas par étape historique mais thématique (en restant ancré sur la violence du conflit), ce trio apporte une dimension de fiction par leur statut de personnage, leurs relations tumultueuses, mais tout en gardant une dimension historique extrêmement importante. Plus que de vouloir servir un cours d’histoire ou de vulgarisation, le metteur en scène vient par dessus tout prendre le pouls des sociétés qu’il filme par le biais de ces personnages, qui, je trouve, sont bien plus denses que les stéréotypes de western auquel ils sont accrochés. Surtout, ces personnages écrivent l’Histoire sans en faire partie, puisque Felipe Galvez Haberle utilise la fiction pour accroître plus que jamais la velléité de son récit et surtout surligner la violence de son contexte.



Si j’aurai du mal à parler après une première vision (et surtout aussi longtemps) de Les Colons, c’est en grande partie car c’est un long-métrage bien moins simple que ce que sa prémisse peut laisser penser, qui réussit à rendre la forme et le fond signifiant en les rendant complémentaires plus qu’égales et en extirpant une part importante de réalité dans de la fiction. Surtout, c’est un film brut, qui m’a par moments laissé sur le côté, m’empêchant de totalement rentrer dans la dynamique du film, mais qui reste d’une franche rigueur, et qui ne laissera que très peu de spectateur de marbre face à la violence de son récit, autant dans le fond que la forme.

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le 25 déc. 2023

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