Alors que les théories historiographiques et les récits non-fictionnels remettent plus que jamais en question les écrits et évènements qui constituent l'Histoire, Felipe Gálvez Haberle - pour son premier long-métrage - à l'image de Martin Scorsese avec Killers of the Flower Moon s'empare à son tour du film historique afin de porter un regard frontal sur la genèse brutale et inconnue de la conquête des terres d'Amériques du Sud. Dès sa séquence d'ouverture montrant l'irrespect et la barbarie des colonisateurs jusqu'à la sanglante expédition de son trio de protagonistes en Terre de Feu, Les Colons plonge le spectateur dans une odyssée sauvage, puissante et aux images impressionnantes (notamment grâce à ses décors vertigineux). En suivant leur progression à travers les plaines fertiles et sinueuses du Chili, ce dernier revient à une forme éminemment primaire de cinéma d'aventure, d'exploration quasi-documentaire et de western où coexistent dépaysement, adrénaline et violence.
Qu'il s'agisse d'un meurtre de sang-froid à cause d'une mutilation accidentelle, d'une attaque d'un camp indien tournant à la boucherie et au viol, de la démonstration de la brutalité militaire… Les Colons impose une série de décharges lourdes afin de montrer comment la quête du pouvoir pousse à ériger des frontières entre les Hommes les amenant à s'entretuer (même s'ils font partie d'une même ethnie) et comment les rapports de domination peuvent donner le droit de contrôler une personne au point de le forcer à assister au massacre de son propre peuple - voire pire, d'y participer.
Cette capacité de l'Homme à contaminer, à détruire tout ce qu'il rencontre est particulièrement révélatrice lors de la séquence finale du film lorsque la volonté de recueillir des témoignages sur les massacres des populations autochtones ne fait qu'accentuer l'éloignement entre l'Histoire et ceux qui l'écrivent. L'arrivée de la caméra se révèle donc comme l'instrument parfait d'une nouvelle domination ; la violence n'est plus physique mais est remplacée par la manière de dicter le comportement des plus pauvres, de les transformer en marionnettes et par la mémoire historique biaisée qui en résulte.