Je découvre avec ce film le cinéma japonais des années 50 et je reconnais que je suis plutôt charmée.
Au XVIème siècle, dans la campagne japonaise, on y suit deux hommes, Ganjuro le potier, qui a un fils et une femme, et Tobei, un paysan marié également qui ne rêve que de gloire militaire. Leurs tranquilles destinées vont être bouleversées par l'arrivée d'une guerre civile qui les pousse à rejoindre la ville. Ganjuro s'y rend seul et croise bientôt la route de Dame Wakasa, une princesse dont il tombe immédiatement amoureux et qui va l'entraîner dans son château pour le séduire. Quant à Tobei, tout à son désir d'ascension martiale, il en oublie bien vite sa dulcinée (qui devient prostituée) et, suite à un faits d'armes assez fortuit, devient un samouraï (brièvement) admiré, pour son plus grand bonheur.
Ce qui m'a frappée dans ces Contes de la lune vague après la pluie (déjà, quel merveilleux titre, qui colle bien à l'atmosphère poétique et onirique du film), c'est la richesse de son propos, son sous-texte littéraire, la charge violente contre les penchants masculins à courir après des chimères, l'excellente illustration des croyances spirituelles et de la mystique japonaise et, d'un point de vue plus formel, la beauté des noirs et blancs et la modernité de la bande-son.
Sous-texte littéraire donc, puisqu'on ne peut pas ne pas penser à l'Odyssée, à Ulysse et sa fidèle Pénélope attendant le retour de son aimé, pendant que celui-ci succombe à d'autres charmes.. La chair est faible, hélas ! Dame Wakasa ne serait-elle pas une nouvelle Calypso ? Impossible de ne pas s'indigner face à cet homme qui n'écoute que son envie d'amour et de nouveauté, délaissant de façon déloyale, la mère de son fils et ce dernier.
Toutefois, le film s'appuie sur la mystique extrême-orientale (illustrée de façon plutôt fantastique par Mizoguchi) et son implacable loi du karma qui veut qu'un acte nuisible, négatif (la tromperie) se paye forcément plus tard, comme un dette qui ne s'efface qu'une fois expiée par la punition. Ainsi, Ganjuro apprendra à ses dépens qu'il aurait mieux valu rester du côté de l'honneur et de la fidélité, plutôt que d'aller courir les jupons. De la même manière, Tobei comprendra que ses rêves n'étaient que des illusions qui n'ont engendré que souffrance et déception. Philosophiquement parlant, ce film nous fait donc réfléchir aux conséquences de nos actes, à la valeur de nos décisions, au poids de nos actions et de nos choix.
Le film est est également une superbe métaphore des rêves et des illusions, qui m'a rappelé la célèbre citation de Tchouang-Tseu :
Jadis, une nuit, je fus un papillon, voltigeant, content de son sort. Puis, je m’éveillai, étant Tchouang-Tseu. Qui suis-je en réalité ? Un papillon qui rêve qu’il est Tchouang-tseu ou Tchouang qui s’imagine qu’il fut papillon ?
D'un point de vue plus formel, je dois reconnaître que j'ai été un peu déconcertée par le jeu tout en exubérance hystérique des acteurs - grands yeux ébahis, bondissements de droite et de gauche, et que je me jette sur le sol pour montrer ma douleur et que je parle vite et fort - mais une foi habituée, j'ai pu goûter à la beauté délicate des noirs et blancs, et à la poésie contemplative de certains plans (notamment celui dans le jardin au bord de l'eau entre la princesse et son élu). Ce qui pourtant m'aura le plus surprise restera la musique, ces sons purs, discordants, dissonants, oppressants, qui semblent annoncer le pire en permanence, qui agissent comme une menace sourde... J'ai trouvé ça vraiment moderne, l'effet est particulièrement réussi pour l'époque.
Une très bonne première expérience que ces Contes, qui font d'ailleurs écho à ma lecture du moment, Le Brocart, un très beau roman épistolaire japonais également porteur de cette passionnante mystique que je trouve spirituellement très inspirante.