Les créatures est un film plutôt fascinant, Agnes Varda y pousse très loin l’expérimentation, créant un mélange entre science fiction, drame introspectif et délire psychédélique. Etrangement assez peu de critiques ici y rendent vraiment hommage, malgré ses défauts impossibles à ignorer, c’est pourtant un film original, surprenant et assez en avance sur son temps.
Nous y suivons Edgar et sa femme qui, à la suite d’un accident sont allés habiter sur une île normande éloignée de toute civilisation. Alors que sa femme a perdu la voix à la suite de son accident, Edgar constate des comportements de plus en plus anormaux sur l’île, il apparait alors peu à peu que l’intrigue du roman qu’il est en train d’écrire prend la place de celle du film : grâce à un dispositif tout à fait novateur pour l’époque, un habitant contrôle les autres le temps d’une minute, les poussant à des accès de violence et de luxure peu enviables. Edgar décide de stopper cette folie et trouvant le coupable l’affronte dans une partie d’échec qui prend l’ensemble de l’île pour plateau et ses habitants pour pions.
Comme annoncé en intro, ce film a, à mon humble avis, des qualités assez indéniables, la première étant son onirisme affirmé : le coté expérimental des scènes de « possession » fait coïncider un montage original avec des colorations marquées accentuant l'étrangeté du film, la technique se joint au pitch de l’île perdue loin de la fourmilière humaine pour nous donner l’impression être dans un autre monde. Partant de là le film peut à peu près tout se permettre et ne se gène pas pour le faire ce qui est plutôt cool. Toute cette folie converge vers un climax unique : la partie d’échec finale. Osant à peut près tout ce que le cinéma peut permettre à l’époque, Varda nous propose un affrontement au sommet inévitable. En effet depuis le début du film, les motifs de damiers se répètent inlassablement à mesure que la tension s’accentue, convergeant vers ce moment clé.
Il ne faut pas s’attendre à comprendre quoi que ce soit à cette partie d’échec, ni à y espérer une quelconque logique, c’est un prétexte pour enchainer des scènes de qualité englobant l’ensemble des personnages de notre histoire au sein d’un combat entre haine et amour. Et peu importe si tout cela n'est pas clair, nous ne sommes pas dans le monde réel, cet affrontement n’est absolument pas un combat entre deux hommes mais un affrontement interne au sein de la psyché d’Edgar. Selon moi, Edgar ressent une énorme culpabilité suite à l’accident, une culpabilité qui s’est propagée à son oeuvre la remplissant de haine et le dévore petit à petit. C’est donc contre cette haine qu’il doit se battre, pour s’en débarrasser il doit rentrer dans sa nouvelle oeuvre et la détruire de l’intérieur.
Non exempt de défauts (la musique horrible, les répétitions trop accentuées, le jeu d’acteur français des années 60…), Les Créatures reste selon une réussite souvent trop souvent ignorée dans l'oeuvre de d'Agnès Varda, qui en se basant sur un élément de science fiction arrive ici à créer une oeuvre fascinante et éminemment propice aux théories.