Après quelques années à badiner plutôt habilement avec la violence symbolique (Cosmopolis, A Quiet Method, Map to the Stars), la promesse d’un Cronenberg retourné à la mutilation de corps en chair et en os avait de quoi faire rêver. Entre en scène Les Crimes du futur, qui double son postulat de rêve (une société post-douleur et post-sexe littéralement tournée vers l’intérieur) d’un modeste vertige méta : tiens, son titre n’est-il pas celui d’un autre film de Cronenberg ?
L’on retrouve, des Crimes du futur de 1970 (faudrait-il le renommer Les Crimes du passé ?) l’idée troublante d’organes à la croissance spontanée. Faut-il en faire l’ablation ? Pourquoi pas, au nom de l’art. Ou serait-ce au nom du sexe ? Ou peut-être en celui de la préservation humaine. Non non, c’est bien d’écologie dont il est question. À moins que ce ne soit de reproduction ? De filiation ? Si vous ne vous y retrouvez pas, ne vous inquiétez pas : Cronenberg non plus. Les Crimes du futur s’apparente à ce qu’il aurait dû être, à savoir un film à sketch certainement plus en adéquation avec son titre. Les pistes sont jetées puis abandonnées, moyennement cousues entre elles par des scènes de body horror datées et teintées d’érotisme dépassionné. Ennui poli.
Le scénario, délibérément confus sur les conditions du chaos environnemental de son décor de SF fauchée ou même sur la condition physique de ses personnages apparemment imperméables à la douleur (sauf artistique !) n’hésite par contre pas à rappeler trois ou quatre fois que le sarcophage d’autopsie sert… à faire des autopsies. Il serait dommage de passer à côté de ce qui compte vraiment. Les dialogues, mélange d’exposition, de platitudes et d’inepties lyriques, sont ainsi débités par des interprètes visiblement noyés dans des personnages pourtant sans profondeur. Cronenberg a le mérite d’en tirer quelques blagues, mais faute de rythme, elles aussi tombent à plat. Ennui poli.
La mise en scène est au diapason : plan d’ensemble, champs-contrechamps, emballé c’est pesé. Mais les critiques nous susurrent que le film ne manque pas de vision : faut-il voir dans l’écharpe noire de Viggo Mortensen un double du masque chirurgical de la pandémie de Covid ? Dans le corps d’un enfant bleui par la mort une prédiction de l’atroce fusillade d’Ulvade aux États-Unis ? Dans les carcasses de bateaux un échec des accords de Paris ? Rien de tout ça, puisque Les Crimes du futur n’en fait rien, tout occupé qu’il est à chercher du trouble dans le corps glabre de Léa Seydoux, charcuté mollement par des scalpels en CGI. Ennui poli… et dépolitisé.