23 ans après Existenz , Crimes of the future marque le retour de réalisateur au body horror et à ses obsessions organiques. Pourquoi ce nouveau changement de cap,après 23 ans de films tout aussi névrosés mais plus cérebraux?Probablement parce que le réalisateur de 79 ans veut jeter un dernier regard sur ce chapitre important important de sa carrière et le clore définitivement. Quoi de mieux que de reprendre ce script écrit en 1998 et d'y coller sa vision du monde d'aujourd'hui ?
Dans ce futur pas très lointain en déliquescence(ce premier plan de navire échoué), l'homme maîtrise la chirurgie et a supprimé la douleur. Comment ressentir désormais ? En détournant cette chirurgie pour se pénétrer et se procurer du plaisir. "Chirurgy is the new sex" nous disent les personnages. Cet érotisme lié au scalpel et aux cicatrices fait immanquablement penser à d'autres films du réalisateur :Crash bien évidemment pour les cicatrices, Existenz pour la nature organique des outils médicaux, Videodrome pour l'incision abdominale et les écrans cathodiques parsemés ici et là. Un érotisme qui a évolué depuis Crash, qui de mécanique et froid, est devenu sensuel(belle photographie chaude de Douglas Koch), le climax arrivant lors d'une spectaculaire scène de massage interne. Un érotisme accentué aussi par les prestations remarquables de Léa Seydoux, en amante sensuelle, complice maternelle de Saul, et de Kristen Stewart, à l'opposé, en freak nevrotique, brûlante de désir et d'admiration.
Autre fil rouge, celui de la création artistique. Le fait que Viggo Mortensen et Léa Seydoux incarnent des artistes qui se produisent en direct(ici, le tatouage et l'ablation des organes mutants de Saul) n'a rien d'un hasard. Cronenberg cite dans son film nombre de ses œuvres passées et s'interroge ici sur son processus créatif. Ces mutations flippantes, que Caprice découpe et expulse du corps de Saul, sont mises en scène, exposées et soumises à l'appréciation du public et des critiques.Saul est bien évidemment le double de Cronenberg et ses organes mutants sont les cauchemars sortis de l'esprit malade du réalisateur, qui prenait un malin plaisir à raconter ses cauchemars de la nuit à ses interlocuteurs dès son réveil. Un Saul qui souffre en engendrant ses nouvelles créations, là où les autres ne ressentent plus rien. Un Cronenberg qui se livre peut être ici en évoquant sa difficulté désormais à créer... Sans compter que la concurrence, plus jeune, est plus populaire, semble évoquer Saul Tenser en assistant à la prestation artistique d'un concurrent, qu'il ne peut s'empêcher d'ailleurs de critiquer....
Pour finir, Cronenberg parle aussi de notre avenir: depuis son émergence sur notre planète, l'homme n'a cessé de modifier son environnement, avec son lot de nuisances, pollution et réchauffement climatique entre autres . Cronenberg, inquiet de l'emprise de la télévision dans Videodrome, des mondes virtuels dans Existenz, s'interroge ici sur les conséquences sur nos corps de notre société industrielle: comme dans Scanners, le corps s'adapte et mute. Et comme pour tout ce qui est différent et ne rentre pas dans le moule, le pouvoir en place s'inquiète et réprime.Surveillance, agents doubles, assassinats, on baigne dans une ambiance de film noir, proche de celle du Festin Nu et de son Interzone. L'homo sapiens va-t-il disparaître ? Qu'est ce qu'être humain ? Cette question du transhumanisme, à l'heure de l'ingénierie génétique, traverse tout le film.Et le dernier plan du film, magnifique, résume le constat apaisé du réalisateur :puisque le mal fait à notre planète est irréversible, il ne nous reste plus qu'à accepter cette mutation à venir, voire à l'accélérer pour nous adapter à notre nouvel environnement…
Superbe et transgressive conclusion, qui m'a laissé scotché , pendant que défilait le générique de fin, sur une nouvelle partition sublime d:Howard Shore. :D