Cette fois, notre idole et notre maître, David Cronenberg, le réalisateur qui a été essentiel à la constitution de ma propre cinéphilie dans les années 80 (cette conjugaison imparable entre film de genre et hautes ambitions intellectuelles) s'est pris la porte en pleine figure. A 80 ans, ça doit faire mal, et ce d'autant qu'après une série de films conventionnels, depuis A History of Violence, il revenait enfin à son cinéma le plus emblématique. Cannes l'a boudé, les critiques l'ont descendu - trop verbeux, disent-ils -, et même les fans de toujours se sont fait discrets pour le coup. Il suffit de voir la moyenne des notes sur SC pour se dire qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Ne fonctionne plus ?
Mais ce n'est pas dans Crimes of the Future qu'il y a un problème, car le film est magnifique, en plus d'être cronenbergien en diable. Non, c'est bien plutôt dans le fait que la normalisation des goûts, à travers l'abandon de toutes ses ambitions artistiques par Hollywood et la toute puissance de la narration des séries TV de plateformes, qu'il y a un véritable drame qui se joue. Ceci dit, ce n'est pas mon sujet. Je veux juste écrire ici quelques mots positifs à propos d'un film admirable, passionnant, qui sera bien entendu revalorisé dans quelques années. Ou pas, mais finalement, je m'en moque tant j'ai passé un excellent moment de VRAI cinéma devant.
Dans la ligne donc de ce qu'il faisait au siècle dernier - entre Crash et eXistenZ, pour faire simple - le vieux maîtres recycle ici l'un de ses premiers scénarios, et nous offre une oeuvre splendide et vénéneuse comme il se doit. Entre un artiste performer (Mortensen, magnétique, toujours chuchotant, toujours encapuchonné, toujours accroupi ou presque) qui transforme en "performance" les ablations de ses organes qui prolifèrent de manière anarchique dans son corps mutant, et une organisation terroriste qui veut que l'humanité apprenne à ingérer du plastique, en passant par une drôle d'administration chargée en apparence de rescencer les organes nouveaux apparus (Kirsten Stewart, formidable et hilarante comme jamais), Crimes of the Future accumule les sujets et fait feu de tout bois.
Réflexion amusée sur le Body Art (que Cronenberg ne moque pas, à la différence de tous ces détracteurs de l'Art Contemporain nourris par l'extrême-droite), parabole élégante sur l'avenir cataclysmique de la planète, fascination pour de nouvelles sexualités déviantes (la chirurgie esthétique, l'amour tandis que les scalpels découpent la chair), Crimes of the Future embrasse certainement trop de beaux sujets pour son bien, et nous abandonne un peu sauvagement au fil d'un périple qui aurait facilement dû se prolonger une demi-heure de plus.
Bref, Cronenberg, avec ses obsessions terrifiantes et sa mise en scène d'une douceur confondante, est toujours aussi grand. C'est nous qui sommes beaucoup plus petits.
[Critique écrite en 2022]