Les croix de bois, de Raymond Bernard, est un film monument aux morts, un hommage aux poilus qui sont morts, sinon pour la France, du moins pour la gloriole de ses généraux. Le poilu, c'est devenu un mythe, et on le voit développé ici au maximum : le poilu est opiniâtre plus que brave ; il est bon vivant malgré tout et prompt à profiter de toute occasion pour chanter, danser, boire ; s'il est volontiers moqueur ou plaisantin, il est aussi d'une grande solidarité envers ses camarades.
Le film suit une veine réaliste, bien qu'il ne manque pas d'une emphase romantique. Pour le côté emphatique, le film commence par une surimpression, où des soldats parfaitement alignés cèdent la place à des croix tout aussi parfaitement alignées. Dès sa première scène, le film se pose comme la chronique d'une mort annoncée. Ce procédé sera réutilisé à plusieurs reprises, les vivants et les morts se superposant comme des visions fantastiques, comme si le trop grand nombre de cadavres avait rendu poreuse la frontière entre eux.
Pour le côté réaliste, il y a cette volonté de suivre les soldats au plus près, et de partager leur expérience. C'est l'attente étirée en une scène volontairement interminable, lorsque dans la tranchée ils entendent les coups de pioche des allemands, qui creusent afin de poser une mine. Sautera, sautera pas? Résignés, fatalistes, les soldats attendent. C'est aussi la durée des scènes de bombardements, l'enfer advenu sur terre, renforcé par ces cartons appuyant sur la durée de dix jours. Et la scène dure et dure encore, sans rémission, bouches à feu filmées en contre-plongée, oppressantes, crachant la mort sans discontinuer, les hommes broyés par la machine ; et les hommes lancent leurs grenades d'un geste mécanique, tous ensembles, hommes devenus machines, rouages activés par des généraux déconnectés de la réalité. Exténués, n'aspirant qu'à dormir, les hommes devront encore défiler devant un de ces généraux, sous les vivats de la foule, dans leurs vêtements encore pleins de la boue dans laquelle ils ont rampé, alors qu'un officier avait plus tôt critiqué la saleté de leurs chaussures.
Employant des acteurs ayant participé aux conflits, tourné sur les lieux de l'action, Les Croix de bois est une impressionnante reconstitution de la folie et de l'horreur, vu à l'aune du parcours d'un jeune engagé volontaire dont l'idéalisme fera long feu. Le roman avait été bien accueilli par les poilus, une caution d'authenticité que le film cherche à retrouver. Et s'il fait souvent preuve d'une emphase qui ne colle pas totalement au projet, il parvient, dans ses moments les plus dépouillés, à retranscrire quelque chose de très fort.