Le souvenir de la guerre s'y lit, encore vif, dans les yeux et les gestes des acteurs. Il remonte de la fiction, quitte à l'écarteler, à la déchirer par moments. C'est tout autant cette empreinte du souvenir que les moments de combats, filmés dans la poussière, tel l'œil reptile que, de peur, nous sommes devenus, qui donnent au film sa force presque unique (on peut retrouver le souvenir très vif aussi dans le film de Léon Poirier "Verdun visions d'histoire" et dans lequel Antonin Artaud promène également son visage halluciné).
Hawks et Zanuck (et Faulkner), en plus des plans de combats, vont conserver certains tours dramatiques: le creusement d'un tunnel à mines par les Allemands sous les pieds des Français - le son sourd qui en témoigne, à la fois angoisse d'une mort prochaine (pas question de quitter la tranchée) et soulagement d'une mort toujours reportée (Puisqu'on les entend, c'est qu'ils ne vont pas se faire sauter avec) et, finalement, l'explosion qui va décimer la relève qui vient de les relever, les soulager... D'autres détails vont être empruntés et réarrangés: le soldat qui agonise dans le no man's land, l'apport des casques, etc... Le film de R. Bernard restera, par contre, exclusivement masculin dans son intrigue, et beaucoup plus marqué, on l'aura compris, par le traumatisme. D'autant plus que Hawks, toujours soucieux de mettre du rythme, fera un film (trois ou quatre ans après) dont le mouvement perpétuel, l'action - consciente ou non, motivée ou non - est un principe de vie.
Le principe de vie est bien abîmé ici: cela donne un plan magnifique où c'est l'ombre d'un cadavre au sol, immobile, qui lui donne une vie post-mortem grâce aux changements d'angle et de point de vue (on peut le dire ici) d'une fusée éclairante.
Raymond Bernard n'est jamais aussi bon, je trouve, que lorsqu'il reste trivial et documentaire, purement factuel. Je suis moins convaincu lorsqu'il cherche à tirer de l'image - souvent par la surimpression - un sens qu'elle aurait pu avoir, mais de façon plus résonnante et mémorable, si elle avait été laissée libre de toute association forcée... La surimpression finale, cependant, par son accumulation, et dans le contexte de l'intrigue, est très réussis, rythme visuel et temporel, et presque délirante.