Les réfractaires de ce film s'en prennent de plein fouet au rythme et au manque de construction des personnages, ils ne se sentent pas touchés par la mort d'untel, les discours religieux ou les conseils techniques d'un autre. Pire, ils s'ennuient et critiquent l'ambition contemplative ratée du métrage.


Cette critique n'est pas rédigée pour oser commenter leur ressenti (quelle idée...) ou prétendre donner un cours cinématographique quelconque mais pour restituer l'acabit qui revient de droit à l'œuvre Les damnés, autrement dit un film de guerre authentique et puissant.


Voilà un an que les sudistes ont attaqués Fort Sumter et que la guerre de Sécession a commencé. Les hommes d'on ne sait où sont enrôlés partout dans le pays pour combattre on ne sait quel ennemi aux côtés d'on ne sait quels types. Ce dont on est sûr, du moins ce qu'on nous a expliqué, c'est que ceux que l'on doit tuer sont vêtus de gris et représentent le mal.

Le film nous intègre alors dans l'une des garnisons de l'armée nordiste. Il ne nous donne aucun nom, aucun ordre de mission, aucune ressource affective ou de raisons qui expliqueraient l'entreprise de cette excursion. Les soldats avancent aveuglément, tantôt à la recherche de troupes sudistes tantôt en quête d'une vérité sur leur raison d'agir. L'un des personnages va même jusqu'à prononcer un monologue aux airs anachroniques sur ce qu'un homme "doit être" (un discours qui semble bien trop introspectif sur sa vie... ou peut-être suis-je juste dupé par la longue liste des représentations péjoratives des hommes de cette époque...?). Nous sommes affiliés au mode de vie de ces soldats, nous sommes tenus d'endurer (à bien moindre coût) le prix d'une guerre où l'on fut plus blessé par l'ennuie que par les balles.


Mais qui dit représentation de l'ennuie ne dit pas séance ennuyeuse.

Aux remarques faites sur le procédé contemplatif, il faut avouer que c'est un cinéma que l'on aime ou que l'on aime pas. La mise en scène à la longueur oppressante traduit l'exaspération de l'habitude, la rapport aux répétitions qui nous rappellera assurément Le désert des Tartares où les soldats de la forteresse de Bastiano persistent dans l'attente et l'entraînement face à une menace fabulée. Comme les soldats, nous ne percevons de l'ennemi que les éclats lumineux de leurs tirs et le sifflement paralysant de leurs balles. Un "ennemi" dis-je ? Quel ennemi ? Celui-là même qui questionne sa foi aussi bien que les nordistes, qui congèle sous le froid glaciaire partagé ou qui deux ans auparavant avait les échanges les plus respectables avec les tuniques bleues, qui l'a déclaré en tant que "ennemi" ?


On se rend compte assez vite que Roberto Minervini ne veut filmer rien d'autre que le soldat et sa sempiternelle solitude. La focale courte et les plans serrés (sur les visages notamment, relevant des habitudes de documentariste) donnent l'impression d'une guerre prosaïque et immanente aux forces surnaturelles (que ce soit Dieu absent lors des derniers soupirs ou la Nature qui s'affranchit de la guerre, faisant office d'unique arrière-plan, partiellement flouté qui plus est).

On remarque d'ailleurs qu'hormis la scène d'introduction, absolument aucun plan ne se déroule sans la présence d'un bimane (mort ou vif...), ils sont seuls maîtres de leur fatalité. Et dans cette seule partie exemptée de toute activité humaine nous faisons face à la scène la plus primaire de l'Histoire du monde : un groupe de prédateurs dépeçant leur proie.


Les damnés ne conte pas l'histoire de héros. Non pas que les personnages se révèlent être de profondes âmes impures et disgracieuses, mais car ils ne respectent pas la charte conventionnelle qu'Hollywood nous a un temps imposé (est-il vraiment révolu...) quant à la définition du héros américain. Le film ne conte pas non plus les aventures de visages à qui l'on devrait s'attacher, ces jouets d'un réalisateur qui se demande quand imposer une scène tire-larme pour faire frétiller nos glandes lacrymales. Ils sont des hommes qui pleurent, qui doutent, qui se confient, qui se cachent ou qui ont peur. Ce ne sont pas des lâches, ce sont des humains engrainés dans un conflit qui les dépasse, envoyés sur le champ de bataille, là où leur front s'apprête à recevoir un flocon de neige, ou une balle.


Et si Carly Lorraine Crouch affirme : "De toute évidence, la Bible n’est pas aussi sacrée pour certaines personnes que les armes à feu." dans son God and Guns: The Bible Against American Gun Culture, c'est bien parceque des guerres d'idéaux menées par des êtres insensibles ont persuadés une population impuissante que la voix du plus fort prime sur la foi la plus pure.


Récompensé du prix "Meilleure réalisation" à Un certain regard, Les damnés est un film d'une authenticité folle pour son genre traitant avec brio la solitude, la foi et la violence de la guerre. Il n'y a, selon moi, pas plus efficace manière de dépeindre la violence que dans la simplicité la plus absurde.


7,5/10

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il y a 6 jours

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PabloEscrobar

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