Quand on constate le soin immense apporté à la forme, le premier sentiment qui suit tient au regret : celui de ne pas avoir trouvé une contrepartie aussi conséquente dans le fond. Les Damnés, faux western réalisé par Roberto Minervini, appartient à une frange contemporaine d'un renouveau mineur du genre, dans laquelle on retrouve par exemple Jauja (de Lisandro Alonso, avec Viggo Mortensen). Des westerns qui n'en ont quasiment que le nom et qui misent tout sur la dimension atmosphérique des lieux — sans surprise, il est souvent question d'errance.


On est placé ici au début de la guerre de Sécession, durant l'hiver 1862, et ce sera essentiellement tout ce qui sera de plus explicite. Tout le reste : les pérégrinations de soldats de l'Union qui sont envoyés en éclaireurs à l'ouest, et qui semblent aussi peu au courant de ce qu'ils sont censés y faire. C'est la chose la plus déroutante : la photographie est somptueuse, le travail au niveau des costumes et des accessoires est évident, mais il est impossible de ne pas ressentir un manque. L'idée de produire un film aussi contemplatif est loin d'être rebutante en soi : il y a même des cinéastes qui en ont fait une spécialité, comme Terrence Malick — jusqu'à la caricature, récemment, en ce qui me concerne. Mais la sensation d'être passé à côté d'un grand moment de cinéma est tenace, tant il aurait suffi d'un minimum de matière pour convertir cet exercice de style gangréné par sa vanité en voyage immersif hypnotisant.


Le caractère éminemment introspectif du voyage a ses arguments : on voit les soldats questionner différentes choses (leur engagement, le maniement des armes, leur foi). Et il se marie admirablement bien avec la dimension exploratoire de la mission, sur ces terres inexplorées. On nage en plein récit de perdition, on se concentre sur une somme de détails (prendre soin des chevaux, monter un camp, se laver dans cet environnement inhospitalier), avec plus ou moins de réussite — globalement l'ambiance est captivante, mais il arrive un moment où l'on se lasse des jeux de cartes et des cours d'entretien ou de manipulation des armes à feu. L'esthétique acérée et la recherche constante d'un lyrisme de la nature ne suffisent pas, visiblement, à supplanter des enjeux de fond. Surtout quand il s'agit d'évoquer des sujets aussi classiques que l'absurdité de la guerre et quand on passe les minutes introductives à contempler des loups dépecer leur proie. Les images, elles, resteront, à n'en pas douter.


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Morrinson
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