Deuxième Visconti visionné, première claque. Racontant les tumultes d’une famille allemande à la tête d’une grande entreprise de scierie en pleine montée du nazisme (les premières séquences ont lieu le soir de l’incendie du Reichstag), le film décrit toute l’abomination de ce totalitarisme avec une pertinence rare. Et déjà, son ouverture sur les étincelles d'une scierie symbolise toute la frénésie et l'ambition de l'œuvre.


Et si les conflits familiaux de « Violences et passions » étaient palpables, ils sont ici tout bonnement déchirants. Les nombreux protagonistes se consument entre eux tout au long du film, assoiffés de pouvoir et d’ambition, et victimes de leurs désirs. Si cette diversité dans les personnages et les intrigues décontenance dans un premier temps (celui d’identifier et de caractériser chacun d’entre eux) tout cela est tellement bien mené que plus le récit se développe, plus la profondeur du film se dévoile avant un final en apothéose. Dressant différents portraits très diversifiés et nuancés, Visconti montre comment la montée d’une idéologie monstrueuse peut semer le trouble dans une famille en apparence si soudée. Trahisons, meurtres, manipulations, hypocrisies, tous les moyens sont bons pour s’accaparer le trésor de guerre familial. De la mère veuve manipulant son propre fils pour assoir le règne de son amant, en passant par l’officier des SA impitoyable, chacun s’enfonce dans son individualisme pour mener un combat destructeur et insensé, qui les mène à leur perte.


Pour renforcer cette critique de l’ambition, Visconti la contraste avec des thématiques autrement plus choquantes : l’inceste et la pédophilie. Aussi contre-nature et malsains ces actes soient-ils, ils paraissent paradoxalement bien plus humains que toutes ces tromperies et ces manigances pour l’accès au pouvoir. Ce machiavélisme trouve un visage absolu dans celui du cousin SS, qui joue sur tous les tableaux et manipule chaque personnage pour la gloire du 3ème Reich. C’est le seul protagoniste à n’être pas guidé par ses désirs et ses fins personnels, ce qui en fait une figure presque démoniaque. Le réalisateur globalise même son propos en montrant cette infection familiale se répandre dans toute l’Allemagne, avec comme point d’orgue du film la nuit des Longs Couteaux, à la tension remarquable. Tout cela explique parfaitement comment le nazisme s’est implanté dans les esprits, ou comment justifier l’injustifiable.


Magnifiquement conclu par une scène de mariage glaçante pour ne pas dire sordide, « Les Damnés » est un drame familial d’une puissance inouïe. Sa démesure, ses ambiguïtés et ses fulgurances psychologiques font du tragique une machine implacable et désarmante, à l’image du destin de cette épouse qui pensait rejoindre son mari en quittant l’Allemagne, alors qu’elle courait vers une mort programmée et pragmatique. Pour toutes ses qualités, on peut donc légitimement pardonner au film quelques légères longueurs…


Ma critique du film "Le Guépard" :
http://www.senscritique.com/film/Le_Guepard/critique/38349391


"Rocco et ses frères" :
http://www.senscritique.com/film/Rocco_et_ses_freres/critique/40850127


"Nuits Blanche" :
http://www.senscritique.com/film/Rocco_et_ses_freres/critique/40850127


"Mort à Venise" :
http://www.senscritique.com/film/Mort_a_Venise/critique/50471595


"Violence et passion" :
http://www.senscritique.com/film/Violence_et_passion/critique/50471583

Marius Jouanny

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