Les Délices de Tokyo, je m'y suis intéressé quand j'ai vu la bande annonce dans mon cinéma. Cette mise en bouche, je ne l'ai vue qu'une seule et unique fois. Dans la salle dédiée art et essais. Cette histoire de cuisine au pays des cerisiers en fleurs avait quelque chose de magique. Le soir même, je rentre et découvre sur Sc que Aurea l'avait recommandé quelques minutes plus tôt.
Puis les semaines ont passé. et je les ai guettés, ces Délices, dans les programmes du cinéma que je fréquente. Pour enfin pouvoir le goûter ce soir. Car il s'agit bien ici de goûter. Et d'écouter l'eau qui frémit et dans laquelle baignent les haricots rouges. La spatule dans le mélange, qui les remue sans pour autant les écraser. Et la pâte qui s'étale sur la plaque de cuisson, le bruissement qu'elle émet quand elle lève doucement sous l'effet de la chaleur. Ces sont aussi ces mains ridées, déformées, en pleine activité . Qui plongent dans les haricots, qui caressent, qui s'affairent, qui tournent autour de la passoire ou de la marmite.
Les Délices de Tokyo, dans sa première partie, a tout du feelgood movie revigorant, avec cette vieille dame pimpante et courageuse qui propose ses services au cuisinier d'une minuscule échoppe de dorayakis. Une rencontre simple qui rompt l'isolement, qu'il soit physique, dans la cellule exigüe du commerce, ou encore lié à l'âge et aux superstitions traditionnelles. Les Délices de Tokyo adopte aussi tout ce qui fait le conte de fées, avec ses destinées contrariées qui se croisent et qui, fruit de la convergence, semblent avancer de concert vers un horizon qui se dégage.
Mais le film évolue progressivement vers des plages où on ne l'attend pas. Parce que le feelgood movie initial se transforme de manière subtile en parabole sur le sens de la vie et la place que l'on voudrait tenir au sein de la société. Peu à peu, les cages qui emprisonnent les personnages s'ouvrent, comme celle du canari de Wakana. Cette rupture de l'isolement ne sera pourtant que temporaire, malheureusement. A l'inverse du poids des traditions japonaises, de la superstition et des peurs. Si les accents du drame s'invitent à la table des délices, celui-ci est toujours pudique, humble et simple, comme la réalisation de Naomi Kawase. Il n'est jamais souligné, jamais hypertrophié. Il joue sur les émotions mais ne les soutire pas. Il suffira en effet d'une voix enregistrée sur une bande magnétique, de photos en noir et blanc, d'une visite à l'écart de la ville, de plans sur des visages humains malgré la manifestation de la maladie.
Avec Les Délices de Tokyo, il fleurit à l'ombre de cette rencontre de personnages aussi attachants que silencieux sur leurs blessures le sens de la vie : se nourrir, avancer pour se libérer. Comme Sentaro, le patron,
qui travaillera désormais sous les fleurs de cerisiers, sous l'oeil bienveillant de Tokue.
Behind_the_Mask, le goût des choses simples.