Sentaro - Masatoshi Nagase, ou comment devenir fan d'un acteur en seulement un film - tient une petite boutique de dorayakis, qu'il confectionne lui-même. Suite à la publication d'une offre d'emploi, il rencontre une candidate peu banale. Tokue – Kirin Kiki – diablement attachante, dame de 76 ans aux mains déformées, qu'il va rejeter poliment dans un premier temps, avant de revenir sur sa décision et l'engager afin qu'elle l'assiste dans l'élaboration de la pâte An, à base de haricots confits. Peu à peu, ils apprennent à se connaître. Nos deux héros sont bien souvent accompagnés de Wakana (Kyara Uchida, petite-fille de Kirin Kiki dans la vie). Les langues se délient, toujours dans la retenue, le respect absolu, la pudeur, et ensemble, les âmes meurtries entament un périple fait de dépassement de soi, de renaissance, d'investissement vers un nouvel objectif, d'acceptation au sein d'une société qui juge et condamne bien souvent avant de savoir de quoi il retourne.
A aucun moment je n'ai eu l'impression d'être devant un film. C'est assez étrange. Ce sentiment de suivre des personnes, pas des personnages, et encore moins des acteurs, tant tout ce qu'ils dégagent n'est qu'humilité et sincérité. En cela, la réalisation de Naomi Kawase, d'une simplicité désarmante, aide énormément. Les Délices de Tokyo avance lentement, un événement en entraîne un autre. D'une rencontre naît une embauche. D'une embauche naît une nouvelle recette. D'une nouvelle recette naît le succès. Du succès naît la rumeur. De la rumeur ne naît rien, bien au contraire. Tout s'arrête. Le «on dit» m'a tuer. La fin du rêve. La fin du rêve ? Ou le début d'un nouveau ?
La nature tient une place importante dans An, que ce soient les cerisiers en plein cœur de Tokyo ou la forêt autour du sanatorium. Les images qui s'enchaînent sont autant de tranches de vie, des instantanés. Une préparation culinaire détaillée, un dialogue sur des thèmes triviaux ou capitaux. Pas de plan séquence vertigineux. Pas d'explosion grandiloquente ni de cgi grand-guignolesques. Pas de twist foireux ni de personnages impersonnels. Des séquences de la vie de tous les jours. Des lieux de la vie de tous les jours. Des rebondissements qui sont autant de coups durs reçus à la figure de tout un chacun. Et ce sont des gens talentueux, des gens déjà abîmés, brisés, par les vices, par l'âge, par la maladie, qui les reçoivent. Et inlassablement, ils se relèvent. Et avancent. Une leçon de vie double: celle dispensée à Sentaro, et celle dispensée au spectateur.
On regarde, on écoute, on ressent de vrais enjeux. La mort tient en joue, et c'est leur vie qui se joue. On rit – beaucoup – malgré la dureté des événements. On pleure - ou presque, disons plutôt que les haricots qui me servent d'yeux sont particulièrement juteux cet après-midi; un barbare ne pleure pas - puis on sort de la salle en souriant. Parce que c'était triste, mais c'était beau. Parce qu'une fois n'est pas coutume, on est heureux de ne pas avoir pleuré à cause d'images de synthèse dégueulasses, mais sur le sort de personnages auxquels on s'est énormément attachés, en moins de temps qu'il ne faut à un cerisier pour fleurir.