On dira ce que l'on voudra, malgré un démarrage un peu lent, l'Atchison, Topeka and Santa Fe file gaiement. À son bord, une grappe de demoiselles Harvey aux épaulettes saillantes (dont Cyd Charisse !) tombe sur Susan Bradley (Judy) qui s'en va épouser un type qu'elle n'a jamais vu mais dont les lettres l'ont facilement fait chavirer. Malheureusement pour elle, à l'arrivée à Sandrock, small town improbable où chaque homme sait porter le foulard avec audace, le Prince charmant se révèle être un plouc terrible, et le courrier du cœur écrit par le vilain propriétaire du tripot local. Après une vive explication autour d'une chope de bière, Judy montre qu'elle sait malgré tout rebondir et rejoint ses nouvelles amies aux costumes de nonnes.
Désormais sur la rue principale, on aura donc le choix. À gauche, l'Alhambra Saloon de Ned Trent : « Girls & Beers » ! À droite, la dernière succursale de la Fred Harvey Company, parce qu'un bon steak, tout de même. La guerre est déclarée.
Entre les deux, pour rapprocher tout le monde, il y a la vallée, where the evening sun goes down, lieu utopique où, dépassant la brouille initiale, Ned l'affreux moustachu au sourire ignoble et Judy la jolie serveuse pourront s'ébattre, tout au moins réaliser quelques roulades et galipettes. Sauf que Sidney n'est évidemment pas Minnelli et que cette fichue vallée n'existe jamais vraiment, ni par le chant, ni par la danse. Même pas une petite esquisse de pastorale de rien du tout. C'est qu'en fait, George nous laisse libre de le croquer nous-mêmes, ce lieu. Car il sait que si l'on aime vraiment les comédies musicales (et même celles avec des acteurs immensément laids), on sera bien obligé en définitive de l'imaginer comme on peut, en laissant la pensée se jouer dans les détails, par exemple, des deux ou trois gestes simples du beau numéro « It's a Great Big World ». Cette chanson, où Cyd et Judy en chemises de la nuit nous aident gracieusement à préciser les contours de l'ébauche, est (avec le duo Cyd Charisse/Kenny Baker) l'un des moments les plus charmants.
The Harvey Girls n'a assurément rien d'un informe conte de fée barbouillé de western musical et George Sidney n'est pas moins peintre que Minnelli. Un petit maître signe une pochade. Thanks George !