Considéré comme le premier blockbuster de l’histoire du cinéma, Les Dents de la Mer continue encore aujourd’hui d’être une référence dans son genre. Sorti en 1975 après un tournage éprouvant de 7 à 8 mois, Steven Spielberg le considère comme l’un des plus difficiles de sa carrière, Les Dents de la Mer remporta un immense succès critique et commercial à l’époque (471 millions de dollars de recette à travers le monde, plus de 6 millions d’entrées en France et 3 Oscars dont celui de la Meilleure musique).
46 ans plus tard, Les Dents de la Mer n’a pas pris une seule ride et continu encore de faire son petit effet auprès du cinéphile et amateur de films de requins que je suis. Car il faut bien reconnaître que le film de Spielberg est et restera à jamais LE film de requin, celui qu’aucun metteur en scène n’a réussi à égaler voire même à surpasser aussi bien dans la mise en scène que dans l’ambiance composées par le jeune Spielberg, âgé de seulement 28 ans à l’époque.
Ledit Steven Spielberg étant mon réalisateur fétiche et celui qui a probablement le plus contribué à forger ma cinéphilie, j’ai donc logiquement toujours eu une grande admiration envers son troisième film (si l’on considère Duel (1971), téléfilm sorti au cinéma, comme son premier film de cinéma). Car si Les Dents de la Mer compte autant pour moi c’est d’abord pour cet intérêt que j’ai pour les films d’aventure ou les thrillers mettant en scène de grands squales s’attaquant à l’homme. Un genre qui fonctionne à merveille chez moi surtout si vous y ajoutez une ambiance 70’s ultra attachante et immersive avec le charme de l’île de Martha’s Vineyard où fut tourné le film. Et Spielberg à la barre bien sûr.
Hormis ces éléments, si j’apprécie autant Les Dents de la Mer c’est bien parce que je suis obligé de constater qu’il s’agit d’un film parfait de bout en bout. Son scénario, tiré du roman de Peter Benchley paru en 1974, est d’une redoutable efficacité dans lequel aucune fausse note n’est à déplorer. Pas un seul moment n’est inutile, trop étiré ou trop court, tout est absolument maîtrisé et juste du début à la fin. Seulement voilà, ce scénario aussi captivant soit-il ne serait rien sans le talent et l’audace de ce jeune réalisateur connu à l’époque pour quelques épisodes de séries (Columbo), des téléfilms dont son plus célèbre fut même diffusé au cinéma (Duel, 1971) et un premier film pour le cinéma primé au Festival de Cannes (Sugarland Express, 1974). Nous l’avons déjà cité plus haut, mais il s’agit bien de Steven Spielberg, futur roi de l’entertainement, inventeur du blockbuster et un des réalisateurs les plus influents de l’industrie hollywoodienne du divertissement. Et avec ce thriller maritime mettant en scène trois hommes, un bateau et un grand requin blanc, Steven Spielberg allait prendre une autre dimension en 1975 et s’apprêtait à devenir le cinéaste à la carrière impressionnante que nous connaissons tous aujourd’hui.
Toute la mise en scène des Dents de la Mer est une véritable leçon de cinéma. Lancés dans un tournage compliqué en pleine mer avec des problèmes climatiques, des requins mécaniques qui ne fonctionnent pas et des délais à respecter, le jeune loup Spielberg usa de stratagèmes payants et d’une intelligence rare pour livrer un film au final impressionnant et brillant. Les requins mécaniques ne fonctionnent pas ? Pas de problème, il suffit de dissimuler le monstre le plus possible, de suggérer sa présence terrifiante par des tonneaux flottants par exemple, par un aileron menaçant ou par l’utilisation d’un maximum de plans sous-marins en vue subjective pour mieux laisser le spectateur s’imaginer le monstre tapis dans les abysses. Toute l’intelligence des Dents de la Mer réside dans ces nombreux moments d’angoisse et de tension où le requin n’apparaît jamais, ou très peu, pour que le film nous prenne aux tripes et ne nous lâche jamais. Et sans oublier ces nombreux plans où Spielberg filme uniquement des jambes, des bras et des mains dans l’eau pour mieux créer la peur chez son spectateur, tout simplement brillant. J’en oublie plein, mais Les Dents de la Mer regorge de scènes et de plans techniquement parfaits et très intelligents (alalala ce travelling compensé sur Roy Scheider). Suggérer plutôt que montrer, voilà la morale des Dents de la Mer.
Et si le suspense du film fonctionne toujours aussi bien, c’est aussi grâce à sa musique d’anthologie composée par le légendaire John Williams. Avec ses sons graves et lourds, qui s’accélèrent ou ralentissent, la présence du squale est encore plus inquiétante et la musique d’un film n’a jamais été aussi indispensable que sa réalisation, son histoire ou ses acteurs. Acteurs qui d’ailleurs sont tous simplement parfaits, notamment ce trio mythique composé des charismatiques et attachants Roy Scheider, Richard Dreyfuss et Robert Shaw. Le monologue de Robert Shaw lorsque Quint raconte à ses compagnons l’histoire de l’Indianapolis est juste extraordinaire, une des meilleures scènes du film. Et n’oublions pas Bruce, le requin le plus célèbre de l’histoire du cinéma qui aura donné de belles frayeurs aux spectateurs du monde entier, et du fil à retordre à l’équipe du film sur le tournage ! Beaucoup trouverait que le requin a vieillit visuellement, qu’il est peut-être trop mécanique, trop statique dans ses mouvements, personnellement je l’ai toujours trouvé très réussi, très palpable en fait, ce qui renforce la peur et notre représentation réaliste de l’animal (7 mètres de long pour 3 tonnes bien pesées comme dirait Quint, un véritable monstre). À titre d’exemple, le film vieillit bien mieux avec ses effets mécaniques de 1975 qu’un Peur bleue sorti en 1999 et qui utilisait des effets spéciaux numériques pour représenter ses requins, et ça pique les yeux...
Entre le film d’aventure, le thriller aquatique, le film de chasse maritime et le huis clos horrifique sur un bateau, Les Dents de la Mer de Steven Spielberg a su marquer considérablement de son empreinte (ou de sa mâchoire plutôt) la mémoire des cinéphiles. Film de requin ultime souvent copié mais jamais égalé, Les Dents de la Mer est et restera un chef-d’œuvre total dont je ne me lasserais jamais. Un véritable coup de maître pour un véritable coup de cœur.