De très beaux paysages composent Les Derniers hommes, au sein desquels s’égarent des êtres blessés, abîmés par la guerre, usés par le temps et la distance qui tout à la fois les séparent de leur foyer respectif et échouent à donner du sens à leurs actions. Le réalisateur cultive cette absurdité, réduit son scénario à une marche d’un point de départ vers un point d’arrivée avec, en chemin, l’omniprésence d’ennemis invisibles qui surgissent parfois physiquement. Nous sommes assez proches des Confins du monde (Guillaume Nicloux, 2018), quoique ce dernier apportait poésie et mystère de la désolation humaine que refuse sans cesse David Oelhoffen, leur préférant la rugosité d’une approche documentaire où triomphe une masculinité mise à l’épreuve, explicitée dès le titre. Et si le soldat Tinh fait douter Lemiotte sur sa perception de la réalité, cette hésitation demeure de l’ordre de la survie, sans gagner le domaine du spirituel.
L’écriture sommaire des personnages les définit uniquement par leur langue natale et par certains traits inhérents à leur culture – la sacralisation du tigre par exemple –, qui n’est jamais synonyme d’opacité : au contraire, l’individualité apparaît niée au profit d’un collectif qui manque de se déliter à chaque instant, la faute aux impératifs de la hiérarchie, aux antagonismes et aux conditions extérieures éprouvantes. La voix off mécanique y contribue, sous le prétexte de restituer la négation de l’identité personnelle du légionnaire. Tous sont déjà englués dans la jungle indochinoise lorsque commence leur périple : nulle découverte, pas un étonnement, mais un profond sentiment de lassitude que ressent également le spectateur, contraint lui aussi de mener l’expédition à son terme.
Et quand vient le poème lu par Jacques Perrin, quand advient enfin la poésie, il est trop tard, aucune des images la précédant n’a su souffler une âme à ces pauvres soldats qui défilent devant nous tels des vivants déjà morts, principale limite du dispositif tant narratif que visuel – très peu de plans isolent un légionnaire en particulier, tous sont liés par leur condition à l’écran – établi par le réalisateur. Nous sommes loin du savant équilibre atteint par La 317e Section (Pierre Schoendoerffer, 1963).