Avec ce deuxième film de sa "Goodbye Trilogy", on peut dire que Wayne Roberts a le mérite de surprendre !
Pour rappel, le premier volet, "Katie Says Goodbye" (une pépite à voir absolument !) mettait en scène une serveuse prise au piège de sa condition dans une zone des États-unis où la notion d'espoir était considéré comme obsolète mais la jeune fille, une espèce de soleil qui illuminait tout sur son passage, avait une foi inaltérable sur la possibilité de s'enfuir dans un avenir proche. Même si le personnage de Katie irradiait le film par sa grâce jusqu'à son terme, le ton était on ne peut plus dramatique, surtout dans une deuxième partie qui voyait la foi de la petite serveuse mise à l'épreuve de la pire manière qu'il soit.
Ainsi, alors que l'on pensait découvrir un deuxième film dans la même tonalité, "The Professor" (dont le premier titre "Richard Says Goodbye" était bien plus judicieux) nous prend complètement à revers par sa légèreté. Non seulement on comprend que le "au revoir" de Richard Brown aura une toute autre signification (le film s'ouvre avec l'annonce de son cancer qui lui laisse six mois à vivre sans traitement) mais Wayne Roberts nous fait rapidement rire avec les répercussions de cette nouvelle on ne peut plus dramatique (aaah cette ouverture hilarante sur une série de "fuck" !). Forcément désarçonnant pour qui s'attendait à quelque chose dans la même veine que "Katie Says Goodbye", ce changement de registre va heureusement assez vite apporter l'adhésion.
Déjà, c'est un bonheur de retrouver un Johnny Depp en si grande forme : dépouillé de tout maquillage superficiel, la jubilation du comédien à interpréter un homme qui a décidé de partir en roue-libre complète sachant sa fin proche est tellement palpable qu'elle ne peut que nous emporter avec elle ! Et puis, comme on ne l'attendait pas dans ce ton plus frivole, Wayne Roberts se révèle tout aussi talentueux en matière d'humour noir, l'addition entre son écriture corrosive et l'énergie retrouvée de Depp donne un nombre conséquent de situations et de répliques véritablement hilarantes où ce professeur ayant décidé de briser tous les filtres de convenances sociales l'ayant conduit jusque-là ne s'interdit désormais plus rien !
Évidemment, même s'il semble digérer la nouvelle en adoptant ce comportement désinvolte, le professeur Brown sera dans une forme de déni, presque heureux dans un premier temps de se réapproprier sa liberté d'homme dont il s'était privé lui-même par le respect envers ses obligations professionnelles et familiales. Malgré l'ombre de la maladie présente dans un coin de sa (et nos) tête(s) avec l'idée de ce congé sabbatique sans cesse évoqué, les interactions du bonhomme avec sa femme, sa fille, sa classe (sa sélection d'élèves est à hurler de rire !), son meilleur ami ou un doyen bêta seront d'abord et avant tout un bonheur de lâcher-prise total et de cynisme cinglant.
Puis, sur le modèle astucieux de la construction en chapitres du film, Richard Brown va traverser plusieurs phases au fur et à mesure que les manifestations du cancer deviennent plus difficiles à ignorer. Le dilettantisme des débuts sera toujours présent mais il va s'accompagner d'une prise de conscience que cette liberté nouvelle retrouvée aurait pu déjà être sa propriété, qu'il aurait pu la savourer pleinement s'il ne l'avait pas oublié, comme tout le monde, au fil des années face au poids des responsabilités.
Toujours avec la légèreté qui le caractérise, ses mots envers ses élèves vont être de plus en plus pesés, emprunts de la profondeur d'un mentor certes un peu maladroit mais voulant leur souligner ce qui est à ses yeux le bien-fondé d'une vie.
Et puis, dans une dernière phase où il ne pourra plus nier l'évidence, il tentera de corriger le tir en faisant voler en éclats les derniers non-dits envers sa femme dont il avait oublié la force de leur relation, sa fille qu'il n'a jamais cessé de soutenir et son meilleur ami terrassé à l'idée de perdre le seul électron libre qui animait encore sa vie d'homme rangé (l'excellente prestation de Danny Huston est à souligner). Comme un dernier baroud d'honneur, le fameux professeur nous fera encore énormément rire avec un ultime discours mais ce sera surtout l'occasion pour faire déferler l'émotion qui, si elle était contenue par de nombreux sourires jusqu'alors, n'aura désormais plus besoin de barrières. Richard Brown aura tout dit, il pourra s'offrir sa dernière virée, sa dernière danse avec la liberté avec le joli pied-de-nez de la séquence finale nous soulignant qu'aucune voie n'a besoin d'être déjà prédéterminée pour qu'on la suive...
Et on réalise finalement que Katie et Richard Brown ne sont pas les héros d'une même trilogie pour rien. Si la serveuse faisait tout pour retrouver sa propre liberté, le professeur d'université lui l'avait en sa possession mais il l'avait tout simplement oublié, il aura fallu l'annonce de son cancer pour qu'il puisse y regoûter et en profiter à nouveau pleinement, aussi court que fut ce temps...
Peut-être que le destin de Richard Brown sera plus inconséquent dans les mémoires que celui de Katie à cause de son ton léger mais il n'en demeure pas moins un nouvel "au revoir" de la part de Wayne Roberts que l'on aura adoré suivre. On a déjà hâte de découvrir et de savoir de qui proviendra le troisième...
PS: Si vous avez envie d'en savoir plus sur "Katie Says Goodbye", c'est par ici que ça se passe :
https://www.senscritique.com/film/Katie_Says_Goodbye/critique/184368798