Faire l'amour, et puis mourir.
Sous les sirènes et les pluies de cendre, Robinson Labrode coure et ne va jamais dans le sens des autres. Il a erré toute sa vie et possède désormais un but. Le monde meure, la Terre hurle et se débat, lui est calme, serein, et renaît. La vie pousse son dernier souffle, un souffle de douleur, sale et triste, lui semble délivrer son premier : il est comme le dernier fruit de l'arbre qui est mort, le dernier nouveau-né qui ouvre les yeux pour la première fois, alors que dehors, tout le monde tombe, tout failli, tout s'évanouit dans un silence funèbre. Son aventure est celle des héros prophètes que personne n'écoute, qui n'écoute personne, qui n'a que faire de l'Histoire, qui regarde d'abord sa vie ou son triste bilan, le moment ou jamais pour tout corriger. Alors que les gens paniquent et mesurent la disparition de ce qui leur est cher, Robinson réussit ce qu'il avait toujours rêvé de faire : s'abandonner. Arnaud et Jean-Marie Larrieu le filment aux quatre coins du monde, à Biarritz, au Japon, en Espagne, route toute tracée vers une ville qui se vide, Paris, où il retrouvera son amour disparu.
L'amour, c'est le trésor du film. C'est un amour différent, hybride, autiste, déclaré sur l'autel de la mort, dont le plaisir de la chair se solde par la glaçante décomposition des corps. Plus de places pour les fioritures, dans ce film, puisque le temps s'écoule, puisque que le monde s'écroule : on baise plus qu'on aime vraiment, mais c'est la seule façon d’aimer, et donc la plus sincère. La belle idée des cinéastes, c'est de ne jamais oublier que Robinson est un homme amoureux, d'une femme qui a disparu, donc qu'il ne cesse jamais de chercher. Robinson a vu passé de nombreuses femmes dans sa vie, certaines l'ont aimé un peu, d'autres passionnément, mais lui n'en a aimé qu'une seule, Laé, et c'est elle qui est le plus loin de lui désormais. Alors que l'obscurité se fait, il n'a plus que cela à faire : la retrouver et mourir avec elle.
Les personnages du film sont tous sans exception des êtres malades et cassés, en manque d'amour, qui seront réveillés par la confrontation au néant. Parmi eux, il y a le personnages d'Ombeline (sublime Catherine Frot), qui a tant désiré, qui a tant été délaissée, sans doute le plus beau du film. Gravitant autour de Robinson, personnage neutre pas excellence, peut-être à leur yeux le seul à pouvoir enfin les aimer, ils sont tous, dans leurs traits rapidement esquissés, absolument bouleversants. Pétris de désirs inavoués, celui de faire l'amour une dernière fois à son ancien mari (Karin Viard, ex-femme d'Amalric dans le film) ou d'avouer à son ami de toujours qu'il a été l'amour de sa vie (Théo, joué par Sergi Lopez, qui s'offre enfin à lui vers la fin), ils offrent tous leur corps, chacun leur tour, rejetés ou acceptés, car il n'ont plus rien à perdre.
Au moyen d'un ingénieux récit enchâssé, fonctionnant entièrement sur un montage parallèle, Les Derniers jours du monde conte deux histoires qui se coordonnent : la première, s'arrêtant à la disparition de Laé, filme le début de renaissance de son héros. La seconde, montrant le monde en train de mourir, dévoile son aboutissement : Robinson est désormais, alors que les corps pourissant jonchent le sol fissuré, un véritable être humain. "C'est fou ce qu'on baise quand on va mal" lance Chloé dans les bras de son ancien mari. C'est le constat du film : alors que tout va mal, que tout s'accumule, que l'angoisse monte jusqu'à son paroxysme, le sexe est la seule solution. Se déshabiller, entrer dans une pièce, caresser la peau d'un inconnu et se laisser aller, jouir une dernière fois puis s'éteindre doucement, ce sera le dernier but à atteindre avant de se laisser gagner par la fin. Baiser, baiser, baiser sans conséquences (doucement l'idée d'inceste traverse le film), peut-être pour oublier, pour ne pas pleurer, pour ne pas compter les vrais amours qui s'écroulent. A la fin du film, sublimée par les notes d'une des plus belles chansons de cet amour hybride tant loué dans le film, Robinson, qui a retrouvé Laé, reprenant enfin son destin en main (enfin, celle qui lui reste) court chercher la mort parfaite. "Ton style, c'est ton cul, c'est ton cul, c'est ton cul" répète Ferré. Le monde meure, le monde fatigue, le monde s'éteint. Il n'y a plus rien. Laé et Robinson sont nus, ils se pressent sur le sol de Paris. Ils sont enfin seuls. Il sont enfin libres. Enfin libres de s'aimer, à leur manière, alors que la nuit se fait. Robinson pousse un souffle : il a tout perdu mais retrouvé Laé, et c'est la seule chose qui compte. Il peut désormais, c'est le moment rêvé, fermer ses yeux, s'abandonner.