La façon dont on se souvient d'un film varie souvent pour des raisons bien différentes. Dans le cas précis de The Misfits, on évoquera avant tout son casting hors du commun, qui fut par ailleurs le dernier pour lequel auditionnèrent Clark Gable et Marilyn Monroe. Les deux géants décédèrent en effet peu après la fin du tournage, quelques mois plus tard en ce qui concerne Monroe, et seulement quelques jours, dans le cas de Gable.
The Misfits n'est pas tout à fait un film souriant comme le suggère son affiche, présentant plutôt une forme de voyage introspectif à l'intérieur même des figures matricielles de l’Amérique, du monde changeant et incertain qui les entoure et de la place qu'ils y occupent. Il s'agit d'un matériau pour le moins dense par rapport au reste de la filmographie de Marilyn Monroe. Souligner spécifiquement la présence de cette actrice n'est pas sans intérêt, car il s'agit réellement de son film, elle y incarne le personnage ayant subi le plus de dégâts psychologiques, et dont la confusion ne cesse de s'amplifier à mesure qu'elle essaie de se comprendre elle-même.
En y regardant de plus près, on pourrait même affirmer que ce film ressemble fortement à une biographie de la vie de Marilyn Monroe. Son mari de l'époque, Arthur Miller, a entièrement écrit ce film pour elle. Chacun de ses personnages masculins représentant en fait l'un de ses maris dans la vie réelle. Wallach incarne son premier amour, à l'époque où elle s'appelait encore Norma Jeane. Ce personnage attend d'elle qu'elle joue simplement son rôle de femme au foyer en restant avec lui dans leur maison. Le personnage de Clift représente Joe DiMaggio, un athlète, dont le sport n'est plus le base-ball mais le rodéo; Quant à Gay, le personnage de Gable, il s'agit de Miller lui-même, un homme plus âgé que Roslyn, tout comme l’était Miller face à Monroe dans la vraie vie.
Dans les faits, ce drame en noir et blanc possède un rythme assez lent, susceptible de rebuter le spectateur peu intéressé par l'étude de la vie d'une actrice, aussi immense soit-elle. Il s'agit tout de même d'une expérience à tenter, rien que pour observer la dernière réunion de deux des plus grandes stars du siècle dernier. Gable était affectueusement surnommé "The King of Hollywood". Eh bien, dans ce film, "Le Roi" fait face, comme un symbole, à celle qui pourrait légitimement être considérée comme la reine, les deux géants nous gratifiant en quelque sorte de leurs adieux à l'époque classique du cinéma hollywoodien.
Avant de développer, un petit détour du côté du synopsis s’impose:
Récemment divorcée, Roslyn Taber (Marilyn Monroe) rencontre trois hommes dans le besoin, Gay Langland (Clark Gable), Perce (Montgomery Clift) et Guido (Eli Wallach), qui l'initient à l'esprit libre de la campagne, un lieu présentant l'espace et l'opportunité nécessaire, idéal pour une femme souffrant grandement de l'inertie de la vie urbaine. Comme prévu, des romances se développent, des conflits surviennent; Tout au long de son expérience, Roslyn souffrira du bonheur, observera la vraie nature des hommes, la joie florissante et la cruauté intolérable du monde...
Plongés au cœur de cette intrigue, Marilyn Monroe, Montgomery Clift et Clark Gable semblent tous coexister dans une époque révolue, où Hollywood incarnait encore un archétype de glamour. Les stars du studio s'y habillaient impeccablement et présentaient une apparence parfaite. On retrouve ici la beauté de Monroe héritée de Some Like It Hot, le charme effronté de Gable dans Gone with the Wind, ainsi que la sincérité enfantine de Clift dans From Here to Eternity. The Misfits rassemble cependant ces trois personnages dans un paysage poussiéreux et bien différent des standards habituels, à tel point que leur prestance commence lentement à tomber en disgrâce, au fur et à mesure que le scénario progresse, un récit prophétique quand on sait que les trois acteurs décéderont moins de 5 ans après le tournage du film. Pour la petite histoire, cette production fut cauchemardesque à bien des égards: Le réalisateur John Huston buvait et s'adonnait au jeu d'argent à outrance. Monroe avait développé une dépendance aux médicaments, d'une part pour être capable de se réveiller le matin et aller travailler, mais encore plus pour pouvoir se coucher une fois la nuit tombée. Clift subissait toujours les séquelles de son terrible accident de la route survenu quelques années auparavant. Clark Gable, quant à lui, fut foudroyé par une crise cardiaque mortelle deux jours seulement après la fin du tournage.
Pour en revenir au film, The Misfits est un drame psychologique très bien écrit et complexe. Arthur Miller, en bon dramaturge qu'il est, possède une écriture plus adaptée à la scène qu'à l'action d'un film, mais cela ne change rien au niveau de jouissance qu'il parvient à procurer en adaptant son propre roman, il resta par ailleurs en place tout au long de la production de façon à façonner et déplacer les personnages au gré des modifications que souhaitait apporter le réalisateur. Miller fut également le principal soutien de Marilyn Monroe dans l'obtention de son rôle, Huston affirma pourtant à son sujet: "Elle n'était plus capable de s'occuper d’elle-même". Ce qui ne manqua pas d'occasionner quelques tensions entre le réalisateur et son équipe, particulièrement lorsque la production du être interrompue alors que Monroe était hospitalisée, bloquant le tournage pendant deux semaines.
Avec sa production chaotique, The Misfits fut précédé d'une mauvaise publicité avant même sa sortie, et n'eut par conséquent qu'un succès d'estime, sa réputation actuelle tenant en effet plus à son statut de chant de cygne inattendu de Monroe et Gable, mais il s'agit tout de même d'une œuvre ayant le mérite de souligner leur isolement dans le monde cynique d'Hollywood, ou les destins se font et se défont en un claquement de doigts.
Décrivant une vision pour le moins pessimiste et désagréable de son environnement, ce film nous présente en effet les tourments d'un petit groupe de personnages semblants comme perdus dans un monde qui ne leur correspond pas. The Misfits joue habilement avec les nombreux changements que subit le monde au début des années 1960, une période durant laquelle les attentes autour des différents statuts des hommes et des femmes furent fortement contestées. Comment pouvez-vous être un père si vous êtes séparé de vos enfants? Comment pouvez-vous être une femme si votre vie consiste à vous promener pour rencontrer toujours plus de monde? Telles sont les questions auxquelles ce film tente de répondre, ou du moins tels sont les thèmes qu'il expose, car la recherche de réponses n'est évidemment pas la préoccupation première de John Huston, sa réalisation s'articulant autour d'une philosophie tout sauf simpliste.
L'acte final, dont l'intrigue se concentre sur la capture de Mustang sauvages, est particulièrement difficile en ce sens. La vision de Marilyn Monroe criant dans le désert, appelant ses compères en exigeant davantage d'humanité de leur part est immédiate et saisissante. Ajoutez à cela l'appel téléphonique de Montgomery Clift à sa mère, ainsi que les commentaires glaçants de Gable sur son âge, et vous comprendrez aisément pourquoi The Misfits est un film si engagé, car il suggère souvent une vérité plus dure et profonde que prévue. Huston est parvenu a capturer un moment fugace de changement et d'honnêteté. L'histoire de ce long-métrage possède un réel poids, car nous connaissons la dépression et la dépendance que subirent ses interprètes principaux, et on se surprend souvent à souhaiter que cette vision ne représente pas la dernière image que l'on se fera de ces étoiles, malgré son caractère définitif et irrévocable.
Dans l'ensemble, The Misfits ressemble plus à une étude de caractères qu'à un film comme on le conçoit généralement, parvenant à nous faire ressentir tout le désespoir de ces quelques âmes perdues. Finalement, le fait que Monroe, Gable et Clift soient tous décédés jeunes et dans les quelques mois et années suivants la sortie de ce film a fini par devenir un élément majeur de sa propre programmation, bien malgré lui, ajoutant un élément imprévisible à l'ambiance morne et dépressive imprégnant cette histoire, faisant de ce métrage une œuvre prophétique par bien des aspects, autant sur le monde qu'elle décrit que sur ses propres personnages. La réputation de The Misfits tiendra pour toujours à son fameux casting, et c'est à juste titre, mais limiter sa valeur à ce seul élément serait injuste, car ce film possède un discours très intéressant, porté par des acteurs au sommet de leur art. Leur talent éclabousse littéralement l'écran, prouvant par là même qu'ils n'étaient pas uniquement des célébrités, mais également des interprètes de tout premier ordre.
De par ses nombreuses tours et détours scénaristiques, ce long-métrage tisse son intrigue de manière haletante mais tend inexorablement vers une fin puissante et stridente, qui résoudra les conflits de tous les personnages. Commentant deux des aspects les plus sombres de la conscience humaine: La guerre et la cruauté ordinaire. À un moment donné, Montgomery Clift entre dans le flux d'action dans un rôle typique, presque autobiographique; Son personnage n'est pas foncièrement nécessaire à l'intrigue, mais les trois mâles font ici partie d'un ensemble chapeautant de nombreux sous-textes propres à l’œuvre d'Arthur Miller: La fragilité, le besoin de superficialité ou encore le manque de profondeur, tous ces aspects sont ici représentés par les hommes, et rien d'autre. Il est assez aisé, une fois tous ces éléments pris en compte, de comprendre pourquoi ce film fit un flop au box-office de l'époque: Le public de 1961 essayait probablement de se raccrocher au souvenir d'un âge d'or révolu, de ces glorieuses années 50, une époque ou John Wayne était encore considéré comme l'incarnation de l'Amérique conquérante, fière et insouciante…
Par ailleurs, les idées de John Huston sont audacieuses et réfléchies, mais il s'en occupe d'une telle façon que tout n'est pas particulièrement cohérent dans son développement, ainsi, la plupart des scènes se déroulant à mi-chemin de l'intrigue sont émotionnellement et thématiquement critiques, mais on ne peut s'empêcher de ressentir une impression de stagnation désagréable.
Ce film n'est donc pas une réussite totale, mais un certain intérêt réside dans ses échecs. Le mélange étonnant de différents éléments vient ici s'ajouter à un ensemble chaotique et capricieux, mais toujours très captivant. La mise en scène puissante de Huston affiche par ailleurs une fâcheuse tendance à brouiller un scénario à priori aisément compréhensible, il en résulte par conséquent un film parfois défectueux, mais incarnant une part essentielle de l'histoire du cinéma américain.
Au final, The Misfits restera comme un film résolument hanté. Comportant son lot de personnages cyniques et désabusés. Les symboles sexuels qu'ils véhiculaient étant probablement à l'origine des louanges et du culte qui leur fut consacré. Dans les faits, il s’agit autant d’un film sur la fin de vie que sur la mort elle-même. Cependant la mort est ici traitée comme une idée philosophique, abordée de façon très particulière.
Le fait que le trio d'acteurs principaux soit tout à fait représentatif de la sexualité et de la célébrité à différents stades de l'histoire Hollywoodienne est pour le moins étonnant, surtout lorsqu'on commence à saisir les implications culturelles d'un tel regroupement dans un film comme celui-ci, lui offrant une qualité globale indéniablement élégiaque. En jouant constamment avec la crainte du dilemme du personnage, le scénario finit par induire cette étrange impression qu'aucun acteur ne joue réellement un rôle, mais plutôt une version onirique de lui-même. Cela donne un sentiment bien plus prononcé de réalisme, mais décuple également l'aspect désabusé de l'ensemble. The Misfits est un film qui n'aurait jamais du voir le jour, et dont le simple visionnage tient presque du miracle, il s'agit littéralement d'un film sur les inadaptés, fait par des inadaptés et pour les inadaptés.
On pourrait légitimement s'inquiéter du fait que l’intrigue ne se concentre que sur une Marilyn Monroe perdue devant supporter les tirades d'un Clark Gable et d'un Eli Wallach désespérés, mais heureusement, l'apparition de Montgomery Clift dans la seconde moitié du film permet d'explorer certains dommages existentiels plus profonds et spirituels.
La performance de Clift peut aisément être perçue comme la plus tragique de toutes. Après son terrible accident de voiture survenu en 1956, son visage afficha des séquelles irréversibles, et il sombra par ailleurs dans une véritable toxicomane. Son personnage est nerveux et semble presque submergé par une forme de désillusion perpétuelle, Clift apportant une qualité orpheline à ce cavalier de rodéo au destin déchirant. En incarnant le mouton noir d'une famille riche, il parvient à dégager une tendresse hors du commun sous une apparence dure, possédant notamment une ambiguïté sexuelle subtile. Il s'agit probablement de la plus belle performance de sa "seconde carrière", quelques années seulement avant sa mort prématurée en 1966.
Une métaphore insidieuse se place par ailleurs dans ce contexte: Celle du cheval qui assomme Perce. A un moment donné, Perce reçoit un violent coup de sabot en pleine tête sous les yeux de nombreux spectateurs, duquel il se relève étourdi et fébrile; Plutôt que de se soucier du sort du cow-boy, la foule le convainc de remonter sur le cheval afin que le rodéo puisse continuer. Il faut savoir qu'en anglais, le mot "Horse" (Cheval) est l'argot commun pour désigner l'héroïne ou la morphine, d'où l'idée de cette métaphore reflétant entièrement la vie personnelle et la toxicomanie de Clift, en incarnant une représentation parfaite du long et lancinant suicide de l'acteur.
Cette séquence n'est pourtant que l'un des nombreux événements étranges se déroulant dans le film. Perce entretient des liens avec chacun des personnages, mais sa facette la plus émotionnellement agonisante reste sa relation avec celui de Monroe, symbolique d'un schéma beaucoup plus large. Roslyn lui dit: "Ne vous blessez plus, Perce. Prenez soin de vous." Cette petite phrase à l'apparence anodine est pourtant lourde de sens: Leurs personnages semblent individuellement morts, ou déjà condamnés dans le meilleur des cas. Clift et Monroe semblent exprimer un dernier soupir de vie, et plus encore, une forme de compagnie tragique que les autres ne semblent pas posséder. Une compréhension profonde et ésotérique émane de leur relation. Perce démontre par ailleurs un héroïsme moral désespéré lorsqu'il qu'il tente de libérer les Mustangs dans le final du film. Dans les faits, il s’agit du dernier aperçu du héros tragique qu'il incarnait et qui apporta tant de joie au public. Finalement, The Misfits apporte une certaine fatalité au personnage de Montgomery Clift, dont la performance restera comme la plus déchirée et humainement tragique de toutes.
Gable semble incarner un personnage hautement autobiographique. C'est un cow-boy vieillissant qui joue encore les Casanova malgré son âge relativement avancé, son attitude de voyou, héritée tout droit de ses compositions dans Gone with the Wind et It Happened One Night, lui permet notamment d’afficher une apparence de playboy toujours appropriée ainsi qu’un esprit encore très juvénile, s’érigeant en véritable épithète de la virilité fière et instruite, il tient le rôle de patriarche du film. L'aspect le plus dévastateur de son personnage est qu'il incarne également tout l'embarras de son époque. Gay est en effet inconscient, simple d'esprit et mal à l'aise dans l'Amérique progressiste du début des années 60, il sait plus que quiconque que son temps sur cette terre est presque révolu. Il ne comprend pas la direction que prend le monde dans lequel il vit, et ne supporte pas tous ses changements. Étant le symbole sexuel le plus âgé du film, il incarne également une forme de sagesse. Son caractère semble parler de choses existant en dehors du script, à la manière d'un commentaire masqué sur les morts tordues et magnifiques de célébrités. Gay est le personnage le plus confiant du film, et le seul semblant parfaitement à l'aise avec l'idée de la mort. Par ailleurs, ce rôle constitue une preuve supplémentaire de la volonté du réalisateur de démonter le mythe du cow-boy. Attiré par les filles et l'argent plutôt que par la surveillance et l'élevage de son bétail, ce personnage apportera au dernier tiers de l’intrigue une conclusion en forme d'apogée agressive et viscérale, de laquelle émanera un puissant sentiment de catharsis, très typique de l’œuvre de Huston.
Marilyn Monroe quant à elle, se présente comme pitoyable et impuissante au premier abord, mais aussi belle, sexy, éthérée et mystérieuse. On pourrait la percevoir comme un monument vivant à la beauté; Elle était en effet l'une des plus grandes réalisations artistiques de Dieu, une œuvre à la perfection totale. Elle ne pouvait s'empêcher d'être la plus belle, à chaque moment de la journée. The Misifts apporte le contrecoup de cette beauté, car le corps de Monroe transformait également les hommes en sauvages. Elle était une force de la nature qui changeait les hommes autour d'elle, pour cela, ils la saisirent et lui firent du mal, lui reprochant simplement sa perfection.
Dans cette intrigue, Monroe représente la femme idéale pour les trois hommes "Désaxés" du scénario. Malgré de légères variations dans la forme, ils tiennent tous le même discours à son égard. Elle parvient ici a combiner l'innocence avec le sex-appeal cru d'une manière très intrigante. Ce film réussit dans les faits à capturer l'essence de ce que représentait Monroe d'une façon bien particulière, à travers les yeux du peuple. Chacun des personnages que nous rencontrons la voit telle qu'il souhaite la voir. Elle est réellement présentée comme un ange tombé du ciel qui possède le pouvoir de faire ressortir le meilleur d'une personne, mais aucun des mâles lui gravitant autour ne la perçoit réellement telle qu'elle est. Bien sûr, tous les hommes qu'elle rencontre la désirent désespérément, mais sans se soucier qu'elle soit également une personne sensible, réfléchie et idéaliste, possédant notamment un amour enfantin pour la vie et la beauté artistique. Son âme se révèle pourtant troublée et malmenée, semblant comme piégée dans un corps qui ne lui appartient pas, un corps revêtant cependant une importance capitale dans la réalisation de Huston. Le cinéaste montrant sans complexe sa vénération absolue pour son physique, en n'hésitant pas à le mettre en scène dans à peu près toutes les situations possibles et imaginables, allant même jusqu’à lui faire tourner certains plans dénudés, comme l’indique IMDb: "Certains désaccords au sujet du final cut entraînèrent l'élimination notable d'un plan montrant la poitrine nue de Marilyn Monroe dans la scène de la chambre à coucher." Dommage!
Étrangement, la performance de Monroe préfigure presque le rôle d'Audrey Hepburn dans Breakfast At Tiffany's. Roslyn est un personnage incroyablement glamour, mais elle a du mal à communiquer avec les gens. Ses réflexions précoces et parfois détachées sur sa situation lui permettent de s'éloigner des autres, autant que sa beauté et son magnétisme tendent à attirer et à intimider. Monroe habite littéralement le rôle, elle devient le rôle, et avec tout ce que nous savons maintenant sur les dernières années de sa vie, il est difficile de définir où se trouvent les limites entre la réalité et la fiction dans cette histoire...
Le personnage de Gable soulève par ailleurs un paradoxe fascinant par rapport à Monroe, en soulignant le fait que Roslyn est certainement la fille la plus triste au monde. Surprise par ces paroles, elle répond qu'on lui a toujours dit qu'elle devait être la plus heureuse. Gay lui déclame alors une incroyable idée probablement sortie tout droit de l'esprit d'Arthur Miller: Cette pensée émerge uniquement car elle rend les hommes heureux, ils reflètent par conséquent leurs propres émotions sur elle. Marilyn Monroe était une si belle créature que les hommes perdaient leurs sentiments à son contact. Personne ne savait vraiment ce qu'elle ressentait. La seule chose que les hommes savaient était l'état dans lequel elle les laissait.
Huston nous démontre à travers sa mise en scène que cette création divine était humaine avant tout. Qu'elle possédait une âme tourmentée que personne ne parvenait à réparer. Monroe a réussi l'exploit de transcender son propre médium pour nous communiquer toute sa détresse. Car finalement, si l'on ne peut comprendre sa beauté, comment pouvons-nous comprendre sa tristesse?
Dans l’ensemble, The Misfits n'est pas un film prêt à fournir des réponses concrètes et simplistes à ce genre de questions, se contentant plutôt d'une fin traditionnelle, mais tout ceci ne constitue en fait que la surface d'un plus grand ensemble, dont les premiers et derniers actes constituent le liant. A travers ce long-métrage, John Huston nous a légué une expérience stimulante, constituant une conclusion parfaite aux carrières des deux géants du cinéma qu'étaient Clark Gable et Marilyn Monroe. Sa caméra parvenant à restituer avec brio le flou régnant entre fiction et réalité, en réussissant dans son entreprise de capter la dernière lueur d'âme de ses personnages, mais aussi de ses acteurs. The Misfits n'est pas un simple film, c'est un poème imagé, une prophétie en forme de souvenir, où chaque scène a du sens et parvient à se rendre brillante.
Pour conclure, ce film constitue probablement l'un des drames américains les plus convaincants jamais réalisés. Afin de l'apprécier pleinement, il est nécessaire de comprendre ses métaphores et son contexte. The Misfits est une œuvre hautement spirituelle, hantée par les fantômes de Clark Gable, Marilyn Monroe et Montgomery Clift. Ces fantômes parleront indéniablement à celui qui sera prêt à les écouter, car lorsqu’un film est hanté de la sorte, sa lumière ne s'efface jamais. The Misfits est une lumière qui ne diminuera jamais. Un fantôme qui ne partira jamais. Une rose qui ne fanera jamais.