Le crépuscule d'une déesse
Marilyn, réalité restée mythe, femme fantasmée qui était, est et sera adulée par des générations d’amoureux fous. Toujours sous-estimée, souvent réduite à un corps voluptueux qui ne connaissait pas encore, et fort heureusement, la taille mannequin. Ses plus mauvais serviteurs ne retiendront d’elle que des films comme 7 Ans De Réflexion ou encore Certains l’Aiment Chaud, comédies légères où son talent pour le drame n’était pas aussi explosif que dans Troublez-Moi Ce Soir ou The Misfits, dernier film que la divine a pu tourner en intégralité, mais tout juste. Il s’en est fallu de peu qu’elle ne tourne jamais de rôle à la hauteur du réel talent de comédienne qui était le sien et, même si John Huston s’en mordit souvent les doigts lors d’un tournage dantesque, Marilyn Monroe joua magnifiquement la fragile Roslyn juste un an avant de disparaître.
Roslyn, femme pleine de fêlures, doit divorce et appréhende beaucoup l’idée de quitter cet homme qui l’ignore depuis trop longtemps. Le jour de l’audience, au tribunal, l’amènera à faire la connaissance tout d’abord de Guido, puis de son meilleur ami Gay, cowboy, homme libre qui refuse d’accepter que l’ouest sauvage est en train de disparaître. L’atmosphère d’un bar, les verres de whisky et la maison de Guido en pleine campagne vont pousser ces êtres les uns vers les autres, tous ayant été victimes d’histoires d’amour malheureuses. S’en suivront des rivalités plus ou moins franches entre ces hommes, auquel viendra s’ajouter Perce, tous fascinés par ce que dégage cette femme débordante d’une sensibilité électrique et qui semble avoir tant besoin de se remplir d’amour.
Même si John Huston a eu à subir pendant le tournage une Marilyn au bord du gouffre, presque chaque jour en retard, quittant le plateau sans préavis et oubliant fréquemment son texte, il n’a certainement pas regretté le résultat foudroyant qu’offre son film. Savant mélange d’une histoire d’un carré amoureux d’une complexité très risquée, d’une mise en scène juste incroyable et d’acteurs bouleversants. C’est dès le premier plan que la mise en scène de John Huston s’exprime par un plan incroyable derrière la camionnette de Guido, voyant ensuite une caméra prendre son envol au-dessus de la cabine. On n’oubliera jamais non plus cette scène extraordinaire dans le désert, théâtre d’une incroyable scène de capture de mustangs du Nevada, qui s’achèvera sur un superbe duel entre Gay et un étalon qui entend bien conserver sa liberté.
Clark Gable portait pourtant le poids des ans lors de ce duel, mais le charme et le charisme qui avaient irradié Gone With The Wind occupent toujours aussi insolemment la pellicule. Il est habité par ce cowboy qui défend sa liberté et refuse d’être un jour l’esclave d’un travail salarié. Pourtant son monde s’écroule, les mustangs ont presque disparu et ce qu’il représente se réduit à devenir la relique d’une époque rêvée que l’on ne connaîtra bientôt que dans les comics ou les films de John Huston. Montgomery Clift est un cowboy plus jeune et peut-être moins ancré dans ce passé, cet acteur joue ce rôle à la perfection, épaules tombantes, démarche chaloupée bref, le cowboy crâneur comme on se l’imagine, sans oublier qu’il était beau comme un dieu. Eli Wallach, qu’on est si heureux de retrouver, ne craint pas d’être possédé par un patron, il n’a pas cette culture du far-west qui semble condamner Gay à vivre dans l’illusion. Cet acteur possède ce sourire si particulier, presque un rictus qui donne cette impression d’imprévisible, ce sentiment que l’inattendu est ce qu’il y a de plus sûr. Il est l’intellectuel, celui qui semble faire appel plus à la raison qu’à son cœur, jusqu’à ce que sa raison ne craque sous l’effet du désir.
Au milieu de ces trois hommes, une apparition, un ange brisé par la tragédie, un être surnaturel dont la beauté, parfois approchée, n’a jamais été égalée. Marilyn, toute en justesse, en précision et en naturel surtout, joue un rôle qu’on oserait dire autobiographique, tant cette histoire semble avoir été écrite pour elle, voir inspirée par elle. Elle suscite une foule d’émotions ou de sentiments, parfois contradictoires souvent douloureux. A la fois le désir, la tristesse, l’empathie, le désespoir puis la joie d’une fin en demi-teinte où la découverte d’un amour véritable semble à peine l’emporter sur une mélancolie que l’actrice semble porter comme une croix durant tout le film.
Ce n’est pas être mauvaise langue de dire que Huston n’a d’autre mérite que d’avoir accepté l’instabilité d’une Marilyn au bout du chemin car pour le reste, quand on additionne autant de talents dans un seul et même film, le résultat ne peut qu’être au plus proche de la perfection filmée. Huston nous conte la fin d’un monde et la renaissance difficile d’êtres brisés par l’amour, chacun à sa manière, des êtres aujourd’hui fragilisés et qui ne semblent trouver de réconfort qu’auprès de ceux capables de comprendre la profondeur de leurs blessures. Pour le malheur des admirateurs et pour la beauté du mythe, les blessures de Marilyn étaient trop profondes et malheureusement, personne ne semble avoir compris à quel point.