Ne soyez pas diaboliques ! Ne détruisez pas l'intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu. Merci pour eux.
Henri-Georges Clouzot
Afin de respecter la volonté de Clouzot exposée dans ce carton final, je demanderai à ceux qui n'ont pas vu le film d'éviter d'en lire trop de critiques, car c'est un film qu'il vaut mieux voir en tant que complet néophyte pour être mieux immergé et vivre pleinement cette histoire palpitante.
Si Hitchcock était friand de films dans lesquels toute l'histoire tourne autour du meurtre et où l'on suit justement les instigateurs de ce meurtre - comme La Corde - il n'était pas le seul. Il a son versant contemporain français, Henri-Georges Clouzot, qui a cependant son propre style, plus sombre et angoissant, et tout aussi palpitant.
Chez Hitchcock, le suspense repose souvent sur le défaut du meurtre, et comment les meurtriers seront-t-il débusqués alors que leur acte paraît parfait - comme l'indique le titre de l'excellent Le crime était presque parfait - mais dans Les Diaboliques, l'affaire est vite réglée. Toute l'intrigue repose plutôt sur les doutes, les craintes, et surtout les imprévus qui se greffent sur ce crime.
Les Diaboliques est un film noir, et pas tellement policier. Il s'agit plutôt d'installer une atmosphère angoissante, quasi-mystique, afin de susciter le doute. Les personnages sont ambigus, et bénéficient de superbes interprètes, notamment les deux protagonistes Simone Signoret et Vera Clouzot, qui jouent des personnages aux antipodes, dont les divisions ne peuvent que laisser présager le pire.
L'ambiance à la fois pesante et mystérieuse qu'installe le film le rend particulièrement captivant, encore aujourd'hui 65 ans après sa sortie. Les scènes de fin, dont la lumière et les ombres humanoïdes ne sont pas sans rappeler l'expressionnisme de Nosferatu le vampire, inspireront certainement des classiques de l'épouvante, comme Les Innocents qui reproduit ce climat oppressant, ou même Shining bien plus tard, qui calque le coup de la machine à écrire.
Bien que j'aie songé aux twists au milieu du film, je me suis tout de même laissé surprendre, tant le film nous amène à douter de tout ; on en vient à se demander si la protagoniste principale ne fait pas tout simplement preuve de démence et de paranoïa, ou bien si le corps de son défunt mari ne vient pas la hanter sous forme de fantôme. Mais le double twist est cruellement réaliste, presque évident, et d'autant plus stupéfiant.
Les Diaboliques est un polar qui tient particulièrement en haleine, notamment grâce à l'efficacité de sa mise en scène dépourvue de fond musical, pour un rendu d'autant plus froid et oppressant. Une véritable leçon d'écriture et de mise en scène, pour un rendu qui encore aujourd'hui fait toujours son petit effet.