Voilà le poliziottesco idéal pour qui débute dans le genre. Le film incarne en effet parfaitement l’atmosphère des années de plomb en reprenant les thèmes qui gangrènent la société italienne à cette époque. Le choix de Milan n’est, à ce titre, pas innocent puisque c’est la ville où les choses sérieuses ont débuté avec l’attentat de piazza Fontana. Il est ici aussi question d’attentat mais dans un contexte encore plus complexe puisqu’il intervient lors d’une conférence internationale qui lui donne, d’entrée, une connotation plus politique. De politique, il est, de toute façon, sans cesse question dans ce poliziottesco habile. Peut-être plus clairement encore que dans d’autres titres, le sujet est ici abordé frontalement. Il faut revoir cette scène dans le tramway où des citoyens parlent de l’attentat et accusent aussi bien les néo-fascistes que les Brigades rouges ou les anarchistes. On se rappellera également de cette scène où le commissaire qui mange dans un bistrot est à côté de gens qui parlent de « stratégie de la tension ». Contrairement à bon nombre de ses contemporains, le film n’illustre pas seulement le contexte italien, il en parle très ouvertement. Le titre lui-même annonce la couleur. Cette expression « la police a les mains liées » revient, en effet, très souvent dans le genre. Prononcée deux fois dans le film, elle illustre la position de la police dans un contexte politique vicié qui l’empêche d’agir à sa guise.
Le résultat donne lieu à un film au ton paranoïaque où on ne sait qui complote, qui ourdit un potentiel coup d’État ou qui prépare et commet des attentats. L’extrême gauche ? L’extrême droite ? La pègre ? Le gouvernement ? La cellule « Gladio » ? Le film ne répond évidemment pas à la question et entretient cette thématique complotiste alors très en vogue dans le cinéma international. Pour mener cette enquête qui forcément le dépasse, le commissaire Rolandi n’est pas un commissaire habituel du genre. S’il use de son revolver et utilise de méthodes parfois discutables, il n’a rien du policier justicier qui rentre dans le tas et tire avant de discuter. Au contraire, Rolandi est un original, un intellectuel un peu anar sur les bords qui lit Moby Dick (comme un miroir de sa propre quête) et qui roule dans une Mercedes qui tourne au gaz. On est très loin des personnages de Maurizio Merli qui ne pourrait pas avoir ici sa place. Le propos se veut subtil et politique même si l’ambition de Luciano Ercoli n’est pas de verser dans le manifeste. On n’est ainsi ni chez Rosi ni chez Damiani. On reste dans le cinéma bis comme en témoigne le mélange des genres de la première partie où Franco Fabrizi incarne un collège de Rolandi un peu couard et malhabile qui donne une tonalité amusante. Sa mort, allègrement pompée sur celle de Don Vito Corleone dans le film de Coppola, annonce une seconde partie plus sombre.
Éloignée des productions les plus bas du front du genre, La Police a les mains (qui sortit aussi sous le titre ridicule de Dossiers Rouges de la Mondaine) liées est un excellent polar politique qui n’oublie pas ses classiques. Si elle est moins présente que dans d’autres titres, l’action et la violence sont au rendez-vous, notamment dans un joli final où Claudio Cassinelli montre qu’il sait aussi être un acteur physique. Avec un Arthur Kennedy parfaitement concerné, la gueule de Giovanni Cianfriglia (le Marcucci de Peur sur la ville) on tient là un remarquable casting qui fait aussi la réussite du film. Porté par la musique du toujours excellent Stevio Cipriani, l’ensemble à la conclusion amer est une belle illustration de ce que le genre est capable de produire avec efficacité.