A l’origine de ce long-métrage, le producteur David O. SELZNICK propose à HITCHCOCK d’adapter The Song of the Dragon, une nouvelle publiée en 1921. Le réalisateur britannique et son scénariste Ben HECHT vont développer une histoire après avoir trouvé le fameux MacGuffin (de l’uranium caché dans des bouteilles de vin et destiné à fabriquer une bombe surpuissante – nous sommes en 1944).
Tandis qu’Ingrid BERGMAN et Cary GRANT sont pressentis par HITCHCOCK dès l’écriture du scénario, le tournage commence en octobre 1945. Pour la première fois de sa carrière, le Maître du suspense fait également fonction de producteur après un accord financier entre RKO et SELZNICK qui n’était plus motivé par le projet. Il possède ainsi presque tous les pouvoirs sur son film.
Le tournage se déroule dans la bonne humeur et HITCHCOCK improvise même les mouvements de caméra (lui qui aime bien tout planifier à l’avance) pour la plupart des scènes. Le plan-séquence le plus célèbre du film est sans doute celui du baiser entre Alicia (I. BERGMAN) et Devlin (C. GRANT), véritable pied de nez à la censure de l’époque qui fixe à 3 secondes la durée maximale d’un baiser de cinéma. HITCHCOCK a l’idée malicieuse de filmer une longue conversation amoureuse (improvisée par les acteurs) entrecoupée d’une quinzaine de brefs baisers. La caméra suit en très gros plan l’étreinte du couple qui se déplace lentement du balcon à la porte d’entrée tandis que les baisers se poursuivent. Le résultat est éminemment érotique.
Trouble sexuel, emprise psychologique, imminence du danger : Les Enchaînés fait passer le spectateur d’une tension à une autre. Impossible de ne pas craindre en permanence pour la vie d’Alicia une fois qu’elle s’est mariée avec SEBASTIAN (Claude RAINS), notamment lors de la scène où elle subtilise la clé de la cave à vin pour la fouiller avec Devlin. Cette séquence, particulièrement angoissante, tire son efficacité d’un montage parallèle. Le cinéaste filme d’un côté la soirée qui bat son plein et le stock de champagne qui, à mesure qu’il diminue, risque chaque fois d’obliger le mari à descendre à son tour et à surprendre les amants espions. De l’autre, le couple qui enquête et Devlin cassant malencontreusement une bouteille de grand cru contenant du minerai d’uranium…
Ce récit d’espionnage s’apparente aussi à une relecture de Blanche-Neige : lors du premier dîner avec le groupe fasciste, les hommes sont au nombre de 7 dans la maison ; Alicia est progressivement empoisonnée par sa belle-mère et un baiser de Devlin, son prince charmant, l’extirpe de son profond sommeil.
Le long-métrage sort aux États-Unis en septembre 1946, accompagné d’une critique unanime (qui salue notamment les gros plans d’Ingrid BERGMAN et ses multiples expressions). Les Enchaînés sera sélectionné en compétition officiel au Festival de Cannes et deviendra l’un des plus gros succès financier d’HITCHCOCK. Celui-ci avouera que le film tout entier fut conçu comme une histoire d’amour, malgré l’arrière-plan historique et le McGuffin qui fait référence à la plus brûlante actualité.
Quant à moi, il faut que je revoie ce classique afin de l’apprécier à sa juste valeur.