Si j'avais à résumer l'œuvre de Jean Becker, je dirais sans trop me tromper qu'il aime filmer l'amitié et les braves gens. Il commence par un polar noir "Un nommé La Rocca" mais qui est surtout l'histoire d'une amitié entre deux truands. C'est avec "Les enfants du marais" que démarre vraiment un cycle où Becker va mettre en scène des personnages ruraux ou simples, des gens meurtris par la vie mais qui parviennent à se ressourcer dans une nature apaisée, loin de la vie trépidante et angoissante des villes.
C'est le cas de ce film où Garris (Jacques Gamblin), juste démobilisé de la guerre de 14/18, traumatisé par ce conflit, erre et rencontre par hasard un vieil homme (Jacques Dufilho) dans une cabane, dans une zone marécageuse, au bord d'un étang. Il s'installe dans une vie précaire mais libre avec l'idée d'en repartir un jour. Ce marais se révèle être un vivier où sont nés diverses personnes dont Pépé (Michel Serrault), devenu riche grâce à son activité de ferrailleur, Riton (Jacques Villeret) qui y traine ses souvenirs et sa fainéantise. Et ce marais est aussi un centre de gravité qui attire les gens en mal de recherche de bonheur simple comme Amédée (André Dussolier), un bourgeois un peu poète, qui s'ennuie mortellement chez lui, Tane (Jacques Boudet), le conducteur de train et même Eric Cantona dans le rôle d'un boxeur déchu.
Un aspect positif de ce film est justement le savant mélange de tous ces gens, au-delà de leurs origines et de leurs conditions, qui parviennent à s'entendre et se comprendre voire à se compléter. C'est aussi une parenthèse de liberté et de paix entre deux guerres.
Un autre aspect positif de ce film c'est bien entendu le jeu des acteurs qui rend le film sympathique et dont on sent qu'ils ont pris un malin plaisir à porter ces personnages truculents, hédonistes qui se régalent de bons coups (de Pomerol) et apprécient de bonnes poêlées de pommes de terre sautées et de cuisses de grenouille.
On peut toutefois regretter qu'il n'y ait pas une intrigue plus forte. On reste sur notre faim sur le personnage, intéressant, un peu trop esquissé de Jacques Gamblin. Seul le personnage de Serrault est parfaitement défini. Mais ce que je regrette le plus c'est que ne soit pas plus développée la belle histoire d'amour entre Pierrot, le petit-fils, riche, de Pépé, et Cri-Cri, la fille de Riton. D'autant plus, que la narratrice du film, l'exquise Suzanne Flon n'est autre que Cri-Cri mais à la fin de sa vie et raconte cette tranche de vie dont il ne reste plus grand chose. C'est un peu comme si sa propre histoire n'avait aucune importance au regard de la chronique de cette vie libre dans le marais. Alors que ça aurait pu être un superbe fil rouge.
Au final, c'est un film bien sympathique dont il faut profiter en bon épicurien des belles images et du plaisir de cette vie libre et paisible. Sans franchir le seuil du populiste et trompeur "c'était mieux avant" …