Le récent départ de Kirk a été l'étincelle qui m'a enfin poussée à écrire à propos de son meilleur film : les Ensorcelés (The Bad and the Beautiful), réalisé en 1952 par Vincente Minnelli. D'ailleurs le titre original donne précisément et véritablement le sens du film : la dualité de Jonathan, le mauvais et le magnifique...et la dualité du film dans le film. Nous y reviendrons plus loin.
Dès le premier plan, Minnelli nous entraîne dans son univers par un subtil et léger travelling circulaire vers la gauche puis vers la droite à la rencontre d'une autre caméra mais qui n'est en fait que son propre reflet ! Minnelli nous place au coeur de son oeuvre, de sa passion : le Cinéma.
Nous sommes en plein tournage sur un plateau de cinéma...Le film dans le film ! immortalisé par le génie de Minnelli et transcendé par l'interprétation habitée de Kirk Douglas. Il est totalement et irrémédiablement Jonathan Shields, toujours à la recherche d'un soutien, d'un appui, d'un coup de main....(shield en anglais signifie bouclier, protection...) pour l'amour de faire des films, quitte à trahir ses amis, son amour..., de sentir la chaleur des projos, la palpitation au moment de dire "moteur...Action !", le grand coup de blues (comme chante Jacques) d'après film, le moment où l'on "casse" le décor pour faire place nette au prochain tournage...et quand le réalisateur sait que l'aventure s'achève pour ce film, l'adrénaline redescend, mais peut-être qu'un autre l'attend après...Qui sait ?
Le film s'articule autour de 4 personnages dont Jonathan est l'étoile qui les relie comme des satellites avec l'aide puissante de l'ami de son père, un vieux producteur que Jonathan va envoûter suite à une partie de poker perdue sciemment pour produire des films pour lui.
Début du film, Jonathan appelle Fred Amiel, réalisateur réputé, Gloria Lorrisson, grande actrice et James lee Bartlow, écrivain ayant reçu le prix Pullitzer...Les 3 personnages refusent de lui parler, l'un étant en plein tournage, l'autre est sortie et enfin l'écrivain, acceptant l'appel en PCV trouve cette réplique cinglante "Va crever" (Drop dead en VO). Jonathan enterre son père, qu'il respecte, vieux producteur au passé glorieux mais ruiné. Il pleut à verse mais une foule compacte et compatissante assiste à la cérémonie funèbre...Jonathan attend les figurants pour les payer de leur présence sauf James qui ose plaisanter sur l'ironie de la situation sans savoir qu'il s'adresse à Jonathan Shields, commanditaire de cette "mascarade"....James a des remords et vient s'excuser. Le début d'une belle collaboration et d'amitié jusqu'à...
Le montage des Ensorcelés puise ses racines dans Citizen Kane d'Orson Welles. et notamment la scène de projection du 1er film produit par Jonathan et réalisé par James, les hommes chats qui évoque la séquence du début de Kane lorsque les journalistes sont en salle de projection également...ainsi que le sublime travelling vertical jusque dans les cintres du studio avec les techniciens lors de la dernière scène de Gloria qui rappelle fortement la scène de l'opéra dans Kane.
Minnelli joue avec les ombres et la lumières pour évoquer la partie cachée de l'image et du temps et de l'Homme, Jonathan Shields,...
La rencontre initiale avec Gloria Lorrisson est étonnante. Un soir, Jonathan emmène James voir "la maison de ses rêves", une grande demeure abandonnée et déserte qui appartenait à un ancien grand acteur oublié. Erreur ! la maison est habitée. La fille du "grand acteur" est là assise sur une poutre à 3 mètres du sol, ivre mais vive et prête à mordre pour défendre son territoire...Détail important de cette scène : Minnelli ne montre à aucun moment son visage ! Jonathan est touché et finira par lui donner un rôle, et à force de travail et d'acharnement....la consécration et la gloire...Le travelling quand Kirk porte Lana Turner jusqu'à la piscine sans que le spectateur ne sache où ils vont...un plan hors du temps qui semble durer une éternité. Soudain il s'arrête, lève les yeux aux ciel et la jette à l'eau sans même un regard...Mais Gloria en voulait plus...trop ?
Après le succès retentissant de la 1ère de leur film, il y a une grande fête organisée, toutes et tous sont là sauf Jonathan...qui a le coup de blues d'après tournage et a préféré déserté les mondanités. Gloria se précipite chez lui avec une bouteille de champagne à la main...Le visage défiguré par la colère et la lassitude, Kirk hurle à la face de Lana "get out, get out !" qui résonne encore...
Cependant, les 3 réunis dans le bureau du vieux et dévoué producteur Pebell, refusent encore la proposition de Jonathan , de refaire un film tous les 4. Ils se lèvent et s'en vont. Quand ils passent dans la pièce voisine, Gloria s'arrête, James et Fred également et comme elle l'avait fait lorsque Jonathan l'avait défendu pour son 1er rôle, elle décroche discrètement le combiné...juste pour entendre Jonathan. Ses deux complices l'entourent pour entendre aussi la conversation... Kirk Douglas est un acteur hors norme et sa performance dans ce film montre l'immensité de son talent ! Il faut voir et revoir The bad and The Beautiful !
Minnelli est très un grand cinéaste, maître de la couleur, il réalise ici un très grand film en noir et blanc avec une photo somptueuse et précise comme un bistouri, riche et esthétique. il sait nous emmener aussi bien au pays des rêves et des merveilles pour mieux nous propulser dans celui des cauchemars et des névroses (La toile d'araignée, (1955), Celui par qui le scandale arrive (1960), les 4 Cavaliers de l'Apocalypse (1962)
Vincente Minnelli réalisera une suite en 1962, "Quinze jours ailleurs" en couleurs, moins réussie, à mon avis, mais néanmoins très pertinente avec un EG Robinson tout à fait remarquable et Kirk Douglas toujours efficace et talentueux ! et qui achèvera la boucle et permettra "au film du film dans le film" de "libérer" Minnelli...(en fait "Les Ensorcelés" étaient un film réalisé par Maurice Kruger interprété par Edward.G. Robinson avec l'acteur Jack Andrus, névrosé et fragile (Kirk Douglas) dans le rôle de Jonathan Shields. Ils doivent retourner ensemble un autre film en Italie, 10 ans après...pas simple...)

Christophe_Barnier
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Créée

le 11 févr. 2020

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