Pendant un petit moment, au début du film, on croit avoir une prise sur un scénario aux contours bien définis, en l'occurrence une enquête policière menée par un flic hagard sur la disparition d'un ouvrier sur son chantier. Peu à peu, quelques éléments mystérieux se glissent dans le champ. D'abord quelques scènes vaguement oniriques. Puis une scène rassemblant deux temporalités dans le même mouvement, avec dans le premier plan le flic dans son enquête en cours, et dans l'arrière plan, après une longue mise au point et un lent zoom avant, le personnage qu'il est censé rechercher : il s'agit donc d'un flashback, illustrant le moment où il s'est blessé, le début de ses pérégrinations. Suite à cela, Les Étendues imaginaires n'aura de cesse d'entretenir le doute sur la temporalité ou le niveau d'abstraction dans lequel on se situe.
Évidemment, avec un tel parti pris nous laissant très vite flotter dans un magma narratif flou et incertain, l'expérience est déroutante. Formellement, il n'y a pas grand chose à dire tant Yeo Siew Hua a soigné l'ambiance générale et en particulier celle qui règne dans la salle de jeux, avec tous ces ordinateurs, casques, souris et claviers arborant des lumières oscillantes à la limite de l'irréel. Ce lieu sera d'ailleurs le seul point commun entre les deux personnages principaux, l'enquêteur et l'ouvrier blessé, achevant de consacrer la dimension mixte du film, entre réalisme et onirisme. Même s'il n'est pas irréprochable sur bien des effets, on ne peut pas lui enlever ce côté envoûtant, pour peu qu'on se prête au jeu. Un peu comme chez Bi Gan, il faut parfois savoir lâcher prise et se laisser aller au gré du courant flou, se laisser flotter sur la toile d'un réseau scénaristique non-conventionnel.
On repère quelques excès un peu gênants essaimés par-ci par-là, peut-être la marque des premiers films, avec par exemple cette dernière scène un peu trop frontalement ouverte, comme un appel à l'imagerie de Mulholland Drive et tous ses questionnements identitaires. Mais Les Étendues imaginaires, d'une certaine façon, fait une proposition de cinéma hybride assez forte, comme un polar vaporeux au bord du cauchemar, le long d'un trip hallucinatoire. Quelques complications excessives, quelques ellipses en trop, et une certaine prise de risque qui fait défaut quand il s'agit de dépeindre l'envers du décor social au-delà du miracle économique singapourien, avec l'exploitation de ces ouvriers immigrés qui en constitue la face sombre. Importer du sable étranger pour gagner quelques mètres par an sur l'océan, comme une lutte acharnée et futile, comme des étendues imaginaires explorées au terme d'un voyage halluciné.
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