Poésie du coeur
Critique+images Les étoiles restantes est à mes yeux un OVNI dans le cinéma français d’aujourd’hui. Un cinéma qui se recycle avec ses comédies dont on ne voit plus la fin et dont on se lasse...
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le 30 avr. 2018
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Je connaissais déjà le travail de Loïc Paillard, notamment via plusieurs courts-métrages comme "Mademoiselle", "Her Name is Crazy", ou encore "Et on mangera des fleurs (pieds nus sur des orties)", tous primés dans divers festivals, et dans lesquels j'avais apprécié tant l'art du cadrage et de la composition de plans, que le regard tendre et profondément humain posé sur ses personnages, tous imparfaits mais profondément attachants, peut-être même grâce à leurs défauts. On sentait chez le jeune réalisateur un bel alliage de folie créatrice et de sensibilité à fleur de peau, servies par une subtile poésie. J'attendais donc avec impatience, mais aussi avec une once d'appréhension la sortie de son premier long-métrage, que je savais en préparation. En effet, même en ayant beaucoup aimé ses courts, comment savoir à l'avance si sur une plus longue durée son travail saurait tenir la distance tout en restant aussi beau, drôle et émouvant à la fois, mais en évitant les écueils du manque de rythme? D'autant plus que, réalisé en toute indépendance, son budget était plus que limité...
L'attente enfin terminée en ce mois de Mars 2018 (c'est qu'il a bataillé longtemps et avec acharnement pour le faire sortir, son film!), je peux dire avec plaisir que je ne suis vraiment pas déçu! J'ai en effet passé un moment très fort devant "Les étoiles restantes", comme tous les spectateurs présents dans la salle du petit cinéma lyonnais dans lequel j'ai pu le voir, et dont je sentais autour de moi, tout au long de la séance, l'émotion palpable dans les séquences "qui mettent les poils" tout autant que j'entendais les rires dans les moments plus légers. Et c'est bien là l'une des forces du film, que de parfaitement maîtriser l'équilibre entre drame et comédie, les deux se mêlant et s'enrichissant l'un l'autre tout comme dans "la vraie vie".
On y suit le parcours d'Alexandre, campé avec une belle justesse par l'excellent Benoît Chauvin, un trentenaire parisien intelligent mais qui traverse une période particulièrement compliquée dans sa jeune existence, qui se demande justement quoi en faire, comment y trouver sa place. Fortement impacté par une rupture difficile, il a d'autant plus de mal à s'en remettre que son père est atteint d'un cancer contre lequel il est fatigué de lutter. Cependant, loin d'être pour autant éteints, les deux hommes partagent une belle complicité et n'ont absolument pas perdu leur humour. A la recherche d'un emploi, Alexandre partage un appartement un peu miteux avec Loris, un colocataire plutôt perché, joué par l'hilarant Sylvain Mossot, lui aussi sans emploi mais passionnément absorbé par l'entreprise d'écriture d'un "guide pour réussir sa vie" dans lequel il ambitionne d'élaborer une véritable méthode de philosophie pratique, et dont il ne doute pas une seconde qu'il le rendra très riche très rapidement. Habilement distillées tout au long du film, les séquences où sa folie douce s'exprime sont aussi amusantes que signifiantes, semant des réflexions qui, sous une apparence saugrenue et uniquement drôlatique, cachent en fait une façon décalée mais finalement plutôt jolie de voir la vie et le monde. Tout comme sa relation avec Mathilde, la voisine elle aussi un peu perchée jouée par l'irrésistible Marica Soyer, amuse autant qu'elle attendrit. Elle aussi a une façon originale de concevoir la vie et la réussite, puisqu'elle veut devenir "vendeuse de nuages", et ouvre ainsi des perspectives inattendues à Loris.
Un peu paumé dans ses réflexions existentielles et toujours pas remis d'avoir été plaqué par son grand amour, Alexandre croise Manon, une jeune femme pétillante incarnée par l'intrigante et talentueuse Camille Claris, qui va bousculer sa vie et ses idées reçues. D'abord attirés l'un vers l'autre grâce à un humour taquin ravageur dans lequel ils excellent tous deux, leur relation potentielle va être mise en danger par une certaine crispation chez Alexandre, et une difficulté à accepter la place qu'elle prendra dans la vie de son père malade, à qui elle apporte du réconfort.
A travers ce triangle émotionnel, Loïc Paillard explore avec beaucoup de pertinence non seulement la complexité parfois paradoxale du rapport filial, mais aussi la difficulté qu'il peut parfois y avoir à accepter de faire de la place à quelqu'un de nouveau qui fait du bien à celui ou celle pour qui on pensait jusque-là être le seul soutien.
"Les étoiles restantes" réussit ainsi, comme je le disais plus haut, le délicat mariage entre drame et comédie, non seulement en alternant des scènes d'émotion pure et d'autres très amusantes, mais surtout, comme on le voit malheureusement trop rarement dans un cinéma français assez monobloc dans lequel les genres ne devraient pas se mélanger, en insufflant de la lumière et du sourire même dans ses séquences tragiques, et de la poésie et une vraie profondeur même dans ses scènes comiques. Une écriture intelligente, admirablement servie par une belle distribution, chaque comédien et comédienne étant aussi capable d'émouvoir le public que de le faire rire, et ce parfois dans des moments très inattendus et surprenants. Jusque dans les seconds rôles, comme par exemple chez Zack Zublena qui campe un recruteur aux dehors sévères, mais qui cache une fantaisie et une sensibilité insoupçonnables au premier regard.
C'est également particulièrement vrai pour le personnage de Patrick, le père d'Alexandre, dans l'interprétation duquel Jean Fornerod crève littéralement l'écran, en homme ne supportant plus de voir son corps diminué par la maladie se détériorer de plus en plus et sa jeunesse envolée, mais n'ayant perdu en revanche ni son esprit tranchant ni son humour et son ironie, déterminé à profiter pleinement des émerveillements, des douceurs, des joies qui lui restent à vivre, et surtout à transmettre ce regard à son fils, auquel il rappelle la si belle et si juste phrase de Victor Hugo : "Le plus lourd fardeau c'est d'exister sans vivre".
Cette réflexion philosophique et sa transmission du père au fils génèrent d'ailleurs l'un des plus forts et plus touchants moments du film, puisqu'Alexandre, qui a l'habitude d'enregistrer pour Patrick la lecture de ses livres préférés, lit un poème de Victor Hugo, "Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent", dont est extraite cette citation, et que cette lecture, d'abord toute simple, se transforme en un slam fiévreux alors que Benoït Chauvin y insuffle, avec une impressionnante maîtrise, de plus en plus de conviction et d'émotion. L'un des nombreux moments du film où l'on a "les poils" comme on dit, et où la poésie, qui habite manifestement son réalisateur, sert le propos sans jamais pour autant être surannée ou "guimauve", mais bien au contraire puissante et vivante!
A l'image de ce très beau moment, on retient aussi une bande son extrêmement bien élaborée, créant une ambiance musicale et sonore toujours au service des belles images de Loïc Paillard et de son regard sur ses personnages attachants, les sublimant même, et en laissant de beaux souvenirs en tête à l'issue de la séance, tant pour ce qui est des paysages bretons qu'il filme avec art dans des séquences mêlant joie et nostalgie, que pour celles plus intimes où sa caméra sensible capture les émotions et les sensations partagées par ces êtres qui ont terriblement besoin de tendresse.
C'est donc profondément ému, ravi, et des étoiles plein la tête, que je suis sorti du cinéma où j'ai eu la chance de découvrir ce très très beau film indépendant, que j'espère que vous aussi, cher(e)s lecteurs et lectrices, irez voir en salles, car il mérite votre soutien tout comme vous méritez de le voir! Et je suis une nouvelle fois extrêmement impatient de voir ce que Loïc Paillard nous réservera pour son prochain long-métrage! Un réalisateur à suivre...
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Créée
le 23 mars 2018
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