Enchainer Les Menottes Rouges et Les Femmes naissent deux fois, c'est vraiment expérimenter deux salles/deux ambiances pour un sujet finalement pas si différent. Yuzo Kawashima s'attelle à suivre la vie d'une prostituée et la place qu'elle tente de se trouver dans la société. Naviguant de petit bouge à geishas en bar à hôtesses, devenant une maîtresse entretenue par un papa san (comprendre un sugar daddy), Koen (Ayako Wakao) semble condamnée à un destin incertain et précaire, accrochée aux hommes qu'elle rencontre. C'est sans doute l'aspect le plus déroutant d'un film qui n'hésite pas par ailleurs à déstabiliser avec ses ellipses soudaines : le personnage principal demeure mystérieux, sans histoire ni désir, piégé dans un faux-self constant pour plaire à autrui, compétence certes nécessaire dans son métier mais qui parait chez elle être un vrai pan de sa personnalité. Elle ne peut vivre et s'alimenter psychiquement que dans la relation aux hommes, papillonnant sans jamais réussir à rien construire de durable. Toutes ses aventures finissent par lui échapper, la laissant sans rien d'autre que la poursuite de son métier (même la pratique du chant encouragée par son papa san ne tient pas car il n'émane pas d'elle).
Ce manque d'intériorité et cette quête affective, qui s'observent bel et bien chez certaines personnes, sont aussi l'occasion de développer narrativement la nature des hommes qu'elle côtoie, et les rapports de domination qui animent leurs relations. Kawashima semble toutefois laisser une porte ouverte à une évolution vers une autonomisation psychique quand Koen s'autorise enfin un refus, mais la fin conserve vraiment un goût doux-amer entre un avenir possible et une précipitation mortifère. Du côté de la réalisation, le style demeure sage et montre à nouveau un goût pour la géométrie des ruelles et des intérieurs (l'occasion de visiter le Japon de cette époque), avec des choix de cadre parfois étonnants.
En bonus du BR, on revient sur le parcours cinématographique de Yuzo Kawashima, au carrefour des vieux Maîtres et de la Nouvelle Vague, et sur l'évolution du monde de la prostitution japonaise (où la geisha était souvent un marqueur social de richesse pour son client plus qu'une artiste respectée).