Kaurismäki était, comme toute personne dotée d'un minimum de sens commun, parti en retraite à l'âge de 60 ans en 2017. Six années après, il revient avec un nouveau film, qui sera ou ne sera pas son ultime réalisation. Pourquoi ce revirement ? Ce qu'il en dit, c'est que le monde d'aujourd'hui lui parait tellement désespérant qu'il a voulu envoyer un dernier (ou pas) message. Message selon lequel l'amour resterait la seule possibilité d'éclaircir un peu les ténèbres dans lesquelles le genre humain s'enfonce de plus en plus profondément.
Quoiqu'il en soit, l'arrêt de son activité de cinéaste n'était sans doute pas motivée par le seul amenuisement de ses capacités, puisque ces feuilles mortes sont encore et toujours de très belle facture. Dans son style bien à lui : décors (et figurants) des années 50, photographie soignée, musiques populaires (avec notamment une fabuleuse pièce de rock'n'roll, Get On des Hurriganes), économie de dialogues et humour à froid. Il est en cela bien aidé par ses deux acteurs principaux, dont l'expressivité des visages compense parfaitement le relatif mutisme. Un film, donc, parfaitement dans la lignée de son œuvre récente.
Et le monde qu'il nous montre n'a rien de réjouissant, d'autant qu'il a choisi de placer ses deux protagonistes au plus bas de la pyramide sociale, protagonistes que l'on voit ainsi exercer divers métiers fort utiles à la société et aussi mal rémunérés qu'ils sont utiles : manutentionnaire en supermarché, ouvrier du bâtiment et quelques autres, puisqu'ils se font l'un comme l'autre virer en cours de route. Les décors et les figurants des années 50 (pour préciser, ils auraient eu 20 ans durant les années 50) en rajoutent une louche et la diffusion fréquente de bulletins d'actualité relatifs au conflit ukrainien parachève cette impression de noirceur généralisée. Il ne reste finalement de bon dans tout ça que l'amour (que nombre de péripéties s'acharnent à contrarier, mais qui finit par triompher avec toutefois une paire de béquilles) et la musique (que rien ne s'acharne à contrarier).
Les feuilles mortes, qui apparaissent au propre dans un très beau plan final, sont finalement celles d'un monde qui se prépare à affronter un hiver rigoureux (au figuré, cette fois). L'allusion à la célèbre chanson est explicitée par la bande-son et la nostalgie qu'elle véhicule pourrait laisser tout de même planer un doute quant au fait que l'amour pourra triompher malgré tout. D'une certaine manière, ce film a tout d'un testament cinématographique. En sera-ce réellement un ? à voir...