Le film du finlandais Aki Kaurismäki est un vraie pépite. Le cinéaste réussit le pari de faire une comédie parfaitement dépressive, mais en même temps très drôle. Unique et original, le film doit sa réussite à son sens du décalage.
Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacun tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Mais la vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.
Ce qui frappe dès le début, c’est l’atmosphère dépressive et neurasthénique dans laquelle Kaurismäki plonge son film. Helsinki (qui donne tout, sauf envie) est montrée comme une ville fantôme, parfois glauque et qui semble perpétuellement en travaux. Ce qui contredit allègrement le cliché de la qualité de vie nordique. Même les bars et les restaurants semblent sinistres. Les personnages semblent être des silhouettes tantôt figées, tantôt errant sans but.
Dans ce cadre, il n’est pas étonnant que les deux personnages aillent aussi mal. Elle crève de solitude dans un logement sinistre et enchaîne les boulots pénibles. Lui boit plus que de raison. Ce sont deux inadaptés qui sont perpétuellement dans l’à côté, jamais dans le moule. Belle idée d’inscrire le film dans le contexte de la guerre en Ukraine. Elle revient régulièrement via les bulletins d’information radiophoniques qu’écoutent nos personnages. Kaurismäki inscrit les petites tragédies du quotidien dans celles de l’histoires. Il filme des petits drames qui se déroulent en parallèle de malheurs bien plus importants.
Avec ce film, le cinéaste finlandais s’inscrit dans un genre balisé du cinéma : le film « Un homme et une femme » ou le film « Elle et Lui ». Bref, deux personnes qui ne se connaissent pas mais qui sont faits pour se rencontrer, mais que le destin et le scénario s’acharneront à séparer avant de les réunir. Kaurismäki multiplie les coups scénaristiques retors attendus mais amusants : un papier avec un numéro de téléphone qu’on égare, un accident, entre autres. Il est amusant de noter que le happy-end de rigueur dans ce genre de film est joliment malmené par le cinéaste, avec une fin à la fois optimiste mais pas totalement.
Le film est visuellement superbe. Aux images extérieures assez sinistres, succèdent des décors intérieurs magnifiques filmés dans une lumière très Edward Hopper. J’ai pensé à ‘Nighthawks’ notamment. A cet aspect visuel, il faut ajouter un goût prononcé pour le cadrage ou plutôt pour le décadrage, les deux personnages étant parfois au bord du cadre, jamais vraiment au centre.
Ce qu’il y a de réjouissant dans ce film, c’est cet humour décalé si peu français. Il y a par exemple, cette séance de karaoké où l’on chante le lied « Ständchen » de Schubert ou tous ces personnages figés, neurasthéniques comme cette tenancière de café qui semble inamovible derrière son comptoir. Le film est ainsi truffé de gags inattendus comme cette assiette et ces couverts de l’invité que l’on jette après son départ, car on n’en a plus besoin. Ce qui est inattendu également, c’est avec quelle discrétion les gags sont disséminés de ci de là, jamais surlignés. C’est surprenant, surtout pour un spectateur français habitué aux comédies françaises dans lesquelles, les gags ont une place centrale.
Enfin, un mot pour les interprètes finlandais que le spectateur français ne connaîtra pas mais qui semblent avoir été choisis avec soin par Kaurismäki. Dans le rôle masculin, Jussi Vatanen a le physique quelconque d’un Monsieur tout-le-monde adéquat pour le rôle. Il ressemble un peu à Grégori Derangère, cet acteur des années 2000 qui n’a pas vraiment percé et qui avait le physique du héros ordinaire auquel il arrive un destin extraordinaire. Dans le rôle féminin, Alma Pöysti (aux airs de Sandra Hüller, l’actrice d’Anatomie d’une chute’) est absolument fabuleuse.