Cette histoire poignante se déroule à Londres en 1914. Calvero fut un grand clown, un très grand clown qui connut la gloire, les applaudissements de son public, mais voilà, c'était il y a bien longtemps. Depuis l'artiste a vieilli, il ne fait plus rire, il est presque pitoyable sous son maquillage. Sa carrière est loin derrière lui, la retraite arrive inexorablement. Un beau jour, il va sauver du suicide sa jeune et jolie voisine, Thérèse Ambrouse qui se fait appeler Terry. Celle-ci était danseuse lorsque, malheureusement, une paralysie mit un terme à son métier et à ses rêves. C'est alors que le vieux Calvero ému par la beauté et le malheur de Terry en devient follement amoureux. Il va tenter de soutenir la jeune fille afin de la soulager dans l'espoir qu'elle reprenne, coûte que coûte, la danse avec un désir en tête: qu'elle devienne une danseuse étoile. Toutefois Calvero s'aperçoit bien qu'il s'agit-là d'une liaison plus qu'improbable car Terry n'est pas amoureuse du vieux clown. Elle aime le beau et séduisant compositeur Neville. Calvero va sortir sur la pointe des pieds de la vie de celle qu'il adulait afin de la laisser s'envoler vers sa destinée. Pourtant, grâce à ses anciens collègues et amis, le vieil acteur va retrouver la scène... pour un dernier gala auquel participe Terry.
C'est une terrible histoire mais une histoire tellement réaliste, celle d'un artiste dont le succès décroît jusqu'à cesser définitivement. C'est la vie d'artiste d'être dopé par les feux de la rampes, par le public enthousiaste, par les admirateurs et admiratrices et tout cela bourdonne encore dans la tête de ce pauvre Calvero qui voulut malgré tout continuer. Cette mission qu'il se donne en sauvant Terry du suicide va peut-être redonner un sens à sa vie, lui le "vieil inutile" solitaire. A travers la danseuse il vit les grands moments, il entend les applaudissements et les vivats de la foule lorsque sa petite protégée sera danseuse étoile. L'homme est pur, honnête et dévoué mais ce n'est pas cela qui pourra retenir une jeune fille prête pour la gloire. Neville est dans sa vie, elle ne rêve qu'à lui et à la danse et c'est bien normal. C'est ainsi que le clown triste tire sa révérence et c'est ainsi que la gloire change de côté. Le spectacle continue, seuls les acteurs ont changé. Il y aura bien un retour sous les projecteurs mais il ne durera que le temps d'un éclair, le temps d'une dernière émotion, le temps des derniers bravos. Pendant cet instant Terry dans ses petits chaussons de satin blanc tourne, tourne !
Ce film est un grand moment dans la vie de Charles Chaplin en temps que réalisateur. En effet, après "Les feux de la rampe" il ne tournera plus jamais aux Etats-Unis. Il faut dire que ses opinions étant jugées subversives dans son pays, Charles Chaplin prit le chemin de Londres. De cette œuvre on constate qu'il y a deux parties bien distinctes. La première nous emmène dans une sorte de huis-clos au cours duquel Calvero va tout mettre en œuvre pour guérir Terry et lui redonner espoir dans la danse. Il va la chérir, montrant tous les espoirs qu'il porte en elle, pour sa propre vie sentimentale mais aussi pour le bonheur de la jeune fille dans la danse. On peut trouver cette partie un peu trop classique au niveau de la romance et un peu longue dans son déroulement. Qu'importe, Charlot a pris son temps pour nous faire ses adieux, des adieux bouleversants ponctués de scènes et d'attitudes d'anthologie. Dans la seconde partie Charles Chaplin paraît défait, fatigué, usé mais d'une extrême dignité dans le malheur. Là Charlot ne joue plus, Charlot ne fait pas rire, il fait réfléchir sur la fin d'une vie devenue triste et solitaire après les instants de gloire. Il émeut dans cette quête à cet amour si sincère mais inaccessible et il nous fera vivre son dernier gala, son dernier instant de gloire avant de jeter son masque pendant que Terry, interprétée par Claire Bloom, le cœur en fête danse si bien. L'actrice se montre à la hauteur du maître et sa complicité est remarquable. Ce rôle est ingrat vu la situation mélodramatique du film et Claire Bloom se montre malgré tout persuasive. L'ingratitude ne la rend pas antipathique, bien au contraire. Nous avons également le plaisir de voir l'étonnant Buster Keaton en clown pianiste qui nous démontre son talent inouï. Celui qui "enlèvera" Terry à Calvero, c'est bien sûr Neville le compositeur, interprété par Sydney Chaplin, l'un des onze enfants de Charles.
Voilà! le masque de Charlot est tombé et l'on reverra tout de même à l'écran Charles Chaplin dans deux films qui sont très loin de la valeur de ses autres œuvres. Peut-être que le ressort était cassé et que le réalisateur ne se plaisait que dans la peau du personnage extraordinaire qui a fait sa gloire. En tout cas, notre Charlot nous a quitté en 1952 mais il reste auprès de nous, en nous faisant rire ou pleurer et même pleurer de rire.
Ce film a obtenu l'Oscar de la meilleure musique aux Etats-Unis en 1972 soit vingt ans après l'année de sa sortie.
Un dernier mot, je ne peux quitter Charlot sans vous présenter les très belles et très significatives paroles de la chanson de ce film "Deux petits chaussons" composée comme bien souvent par le réalisateur, paroles de Marcel Ageron dit Jacques Larue.
1- Ecoutez cet air
C´est l´histoire banale
De ce ver de terre
Amoureux d´une étoile
Histoire d´enfant
Qui souvent fait pleurer
Les grands
{Refrain:}
Deux petits chaussons de satin blanc
Sur le cœur d´un clown dansaient gaiement
Ils tournaient, tournaient, tournaient, tournaient
Tournaient toujours
Plus ils tournaient, plus il souffrait du mal d´amour
Deux petits chaussons et par dessus
Les plus jolis yeux que l´on ait vus
Sous de longs cheveux légers, légers
Et qu´il était bien obligé d´aimer
2 - Le nez vermillon
Le chapeau sur la tempe
Comme un papillon
Sous les feux de la rampe
Le soir, il jouait
Mais tandis que les gens
Riaient...
{Refrain:}
Deux petits chaussons de satin blanc
Sur le cœur d´un clown dansaient gaiement
Ils ont tourné, tourné, tourné qu´un soir d´été
Le cœur du clown trop essoufflé s´est arrêté
Deux petits chaussons de satin blanc
Sur le cœur d´un clown dansaient gaiement
A vingt ans, l´on ne sait pas toujours
Que même un clown, ça peut mourir d´amour!