Les Filles d’Olfa adopte un dispositif que n’aurait pas renié Nathalie Sarraute : faire advenir la parole au sein d’une famille meurtrie par la mise en scène de ses membres absents, suivant un brouillage des repères distinguant la fiction de la réalité, le documentaire du drame social. Les maîtres mots sont dialogue et communication : rejouer certes, mais rejouer ensemble de sorte à convertir la facticité en authenticité des tranches de vie reconstituées suivant un va-et-vient permanent entre la préparation en amont, l’interprétation et les commentaires méta.
La réalisatrice Kaouther Ben Hania compose ainsi un huis clos en perpétuelle réinvention tant scénaristique – les histoires s’enchaînent, apportant à tour de rôle une réponse à la formule énigmatique délivrée par la mère, selon laquelle ses filles furent « dévorées par les loups » – que formelle, l’espace surprenant par son hybridité et par la circulation des femmes à l’intérieur : sommes-nous dans un grand studio au sein duquel les décors changent entre les prises ? sommes-nous dans la véritable maison ? Le recours à des images d’archives, inscrivant l’œuvre dans une chronologie historique précise, complexifie un peu plus l’entreprise d’exhumation de la mémoire et de tentative de guérison par la catharsis. Le film partage la conviction défendue par Werner Herzog dans ses documentaires, notamment dans Little Dieter Needs to Fly (1997) puis Julianes Sturz in den Dschungel (2000), selon laquelle revivre un traumatisme permet, en posant des mots et une distance sur lui, de mieux l’appréhender voire de l’apprivoiser ; cela permet surtout de rendre sensible et universel un drame qui sinon demeurait événement médiatique.
L’interprétation magistrale des comédiennes et du comédien contribue à notre immersion dans ce foyer gorgé de vitalité et doté d’un fort caractère ; la tragédie qu’il subit nous foudroie en plein cœur, et c’est bouleversés, révoltés et désorientés que nous quittons la salle de cinéma, persuadés d’avoir vu là une belle leçon de courage et de vie.