L’entrée en matière du film est fracassante : un homme au visage lassé, à l’haleine alcoolisée et aux cheveux mal coiffés vient chercher son petit café du matin dans un snack, péniblement. Il a l’expression faciale typique de l’has been brisé, acrimonieux, du gars au passé bien rempli qui masque de sombres et tragiques desseins. Il est indifférent aux clients, dont les regards portés vers le haut et les mines inquiètes dévoilent le tragique de l’information flash transmise subitement à la télévision. Puis une explosion assourdissante. L’acouphène qui suit la déflagration transperce le cœur. Des blessures, du sang, de la fumée, un écran noir.
Un classique est né.
Ce qui m’a tout de suite plu dans l’atmosphère glauque de fin d’humanité que nous montre ici Cuaron, c’est sa tonalité assez réaliste, appliquée, recherchée : la technologie avancée que l’on devine en 2027 n’est pas aussi idéalisée que dans un « retour vers le futur » ; ici, point de skateboards volants ou de voitures planantes. Ce futur que l’on voit pourrait bien être celui que l’on verra de nos propres yeux.
L’humanité est avortée de naissances, « fertilité zéro » aurait pu être un titre autrement plus commercial pour ce petit bijou. Effectivement, belle originalité de scénario que nous avons là, le futur présenté à l'écran se trouve ne pas être aussi noir que « La Route » ou « Le Livre d’Eli ». Cette ambiance déprimante qui sourd durant tout le film est suscitée par l’inefficacité de la reproduction originelle. Plus de naissances donc. Peu importe le pourquoi du comment, on suppose bien des choses en suivant le cours de ce film, au spleen envoûtant.
Et puis, un espoir naît. On devine aisément lequel. Mais l’optimisme est vite effacé de notre horizon par le sort malheureux d’une héroïne charismatique qui éclate au grand jour, au cours d’une poursuite moto – voiture sous fond d’une musique (The Kills) qui pour le coup semble être un choix au goût douteux.
Opposition typique, banale même, entre un gouvernement anglais mal disposé (forcément), et une résistance bienfaisante (quoique…) dotée d’un Jacky Boy impulsif, rasta blond à l’accent anglais nord-industriel à couper au couteau. Il y a aussi un projet bizarre, une sorte de jardin d’Eden dont d’idéalistes gauchistes aiment à croire l’existence.
Et puis il y a ces camps de concentrations malsains dont le climat de terreur qui s’en dégage est oppressant. Et puis il y a Michael Caine, vieil Hippie à l’allure John Lennonienne qui sort de ces flatulences cinématographiques les plus mémorables qui soient. Et puis il y a Julianne Moore, toujours aussi belle et cérébrale. Clive Owen dans le rôle de sa vie, enfin reconnu à sa juste valeur. Et puis il y a cette scène au suspense à la limite de l’insoutenable qui montre Jacky Boy détalant une pente à grandes enjambées pour rattraper une équipe de fugitifs en manque de carburant. Et puis il y a un Peter Mullan innénarable, apolitique, qu’en n’a rien à cirer de tout. Il y a cette drôle de sorcière-nourrice sur un scooter. Ces scènes de guerre civile d’obédience syrienne, hyperréalistes, tournées caméra à l’épaule dans un style qui frôle le documentaire. Et quel rythme putain.
Un petit joint, un coup de gnôle, en claquettes sur les gravats.
Des débats, des illusions, un bel amour lointain perdu. Des allumés, des clochards, des soldats en pré-retraite, subjugués par la pureté et l’innocence d’un cri larmoyant qu’ils croyaient oublié, perdu.
Et puis il y a cette fin de film, que je ne dévoilerai pas ici, dont je tire toujours autant, à chaque visionnage, un sentiment ambivalent d’amertume et d’optimisme mélangés.
Tout recommence à zéro, on peut maintenant regarder vers les étoiles.