La structure narrative du film rappelle celle d’un jeu vidéo, plusieurs fois certaines scènes du film font cinématique de jeux vidéos apocalyptique, les dialogues et la gestuelle y jouent pour quelque chose. Par ailleurs ce procédé évoque la dynamique de The Last of Us, notamment dans la manière dont l’exploration du monde s’accompagne de la contradiction entre la survie et la mémoire, entre la nécessité d’avancer et le fardeau du passé. Comme dans TLOU, les paysages dévastés du film fonctionnent comme des tableaux narratifs, témoins d’une humanité à la dérive, où toutes les interactions deviennent des dilemmes moraux qui s'inscrivent pourtant dans une perspective profondément nihiliste où l'on pourrait affirmer que finalement Les fils de l'homme c'est trouver le sens de la vie.
Également, l'histoire illustre l'aliénation progressive des individus. La dissolution suprême du sujet dans un monde où les rapports sociaux sont intégralement sous l'emprise de la phase terminale de la réification (cf. Lukács). De surcroît on perçoit, non sans troubles, la façon dont la publicité continue de jouer un rôle cynique même lorsque l'humanité toute entière court à sa perte : avec des pubs télévisuelles pour le suicide assisté, qui s’inscrivent dans la logique d’une ultime marchandisation du corps, même la mort devient un rapport économique dans la conquête finale des derniers marchés du capitalisme tardif néolibéral. Il ne s’agit plus seulement de vendre des biens ou du temps de travail, mais de capter jusqu’au bout l'instant de l’existence pour le soumettre à la logique, mortelle, du profit démoniaque.
De cette façon, Les fils de L’homme s’inscrit pleinement dans l'analyse de Fisher du « capitalisme tardif » : le film ne raconte pas une histoire linéaire, mais met en scène une saturation des signes, où les ruines du monde ne sont que les restes d’un système qui persiste malgré son obsolescence. Le protagoniste erre dans un espace où le passé, le présent et le futur semblent fusionner dans une indistinction caractéristique de la fin de l’histoire, symptomatique d’une époque où toute alternative radicale semble inatteignable. Un monde sans sujet, ou tout n'est que marchés et marchandises, un monde complètement reifié ; une cosmogonie seulement composé d'objets ; le stade achevé du capitalisme qui meurt sous le poids de ses affreusement lourdes contradictions, mais qui en périssant ainsi, continue de vivre.
Le film exprime cette idée que le capitalisme, même en train d'agoniser, parvient toujours à se représenter comme l’unique horizon possible. L'absence d'alternative au capitalisme et l'apathie du personnage principal, son incapacité à formuler un ailleurs, s’inscrivent dans cette idée d’un monde où l’imaginaire révolutionnaire est neutralisé, où celui-ci est colonisé par l'esprit du capitalisme qui s'immisce dans nos têtes et code nos désirs selon ses besoins. Le film ne se contente pas de dénoncer le pourrissement latent de ce système économique absurde : il en expose la mécanique implacable, laissant planer la question de savoir s’il existe encore un agencement capable d'échapper à la téléologie néolibérale selon laquelle there is no alternative.
(+1 pour les nombreuses refs au prog rock de la fin des années 60, début des années 70)