Ce film réussit partout où de nombreux autres échouent à tour de rôles.


Dans la construction d’un univers d’abord, parfaitement crédible puisqu’il s’agit de notre monde, mais auquel on a changé une seule variable : les petits hommes n’ont plus de progéniture à considérer ; mais qu’est-ce que la vie sans la reproduction ? Posons cette question à un biologiste, il sera bien emmerdé : la vie sans continuité ce n’est pas la vie. Puisqu’il n’y a plus de futur, les êtres sombrent dans le présent et on comprend vite que le monde entier y a sombré sec : l’anarchie, la grande, la vraie… sauf l’Angleterre ah ! qui continue la lutte ! Cuaron puise judicieusement dans l’imaginaire collectif britannique selon lequel la nation anglaise sait, elle, garder une raison d’être, un semblant de sang-froid optimiste et des mœurs modérées quand le reste du monde a lâchement cédé à l’hystérie de la catastrophe : sauver ce qui peut l’être et trouver un remède au mal, c’est la survie de l’humanité façon été 1940. Mais on observe déjà l’anarchie parvenue à suinter jusqu’en Angleterre (Le Londres du film n’est quand même pas très jojo), la recrudescence des sectes qui soignent le doute coupable, les divergences de vision politiques pour faire face à la crise entre le gouvernement et des rebelles constitués dégénèrent en début de guerre civile, les rebelles eux-mêmes se divisent en fonction de leurs perceptions des priorités. En 1h40, tout ce qui doit y être y est !


Tout vient chahuter notre inconscient : l’humanité s’est toujours sauvée par la technologie, mais peut-elle un jour échouer ? Qu’est-ce que la vie sans les enfants ? Qui peut-on sacrifier pour le salut de l’espèce ? Que faire de toute cette misère humaine qui se heurte à nos portes ? Serait-on presque heureux que la stérilité y mette enfin un terme ? Non, non et non, il faut que tout ça continue et l’apparition de la femme enceinte dans l’étable, sorte de Nativité dans l’Apocalypse, est une scène absolument remarquable : l’émotion nous prend à la gorge tant on a réussi à nous faire croire jusqu’alors que l’infertilité était définitivement actée. On partage entièrement les émotions des personnages et la réussite de la création d’un univers se vérifié dans ce genre de situation.


Ensuite les personnages sont de vrais personnages ! Ils sont cohérents, c’est-à-dire que les choix qu’ils font étant donné ce qu’ils savent ne sont jamais aberrants. Les antagonistes, à savoir l’Etat totalitaire et les chefs des rebelles ont des motifs d’action tout à fait recevables. Les « gentils » n’ont pas de pancartes « crèvera » / « crèvera pas » accrochées sur leur front : le sort du personnage de Julian, par exemple est tout l’inverse de ce que l’on trouve dans les films habituellement. Alors qu’elle affiche une intime complicité avec notre héros, elle se prend une balle dans la gorge. Le réalisateur nous envoie un choc électrique : « cher spectateur, tu voulais qu’elle finisse le film ? Eh bien non, elle est morte, maintenant oublie-la… je ne me fous pas de ta gueule, je vais te sortir de ton confort, et te faire désapprendre tous les piètres codes que les réalisateurs paresseux avant moi t’ont appris».


La mise en scène virtuose (ces plans séquences m’ont fait douter de si je ne rêvais pas), le jeu des acteurs, le rythme toujours juste, tout ça est parfaitement huilé. Que dire des détails, ceux des décors, de l’arrière-plan, mais aussi des dialogues qui ne délivrent leur sens qu’a posteriori : par exemple pendant l’embuscade des motards, on entend vaguement un « Cover Kee ! » mais on n’y prête pas attention tant la panique submerge le premier plan ; pourquoi Kee particulièrement ? On l’apprend ¼ d’h plus tard ! C’est notamment ce genre de chose que j’adore dans un film et celui-ci en est truffé.


Rythme et suspens, action et héroïsme, métaphysique et gravité, attachement et séparation, apocalypse et désespoir, miracle et espérance, Cuaron montre ainsi sa maîtrise parfaite de toutes les dimensions d’un média, et c’est en produisant ce chef-d’œuvre, une œuvre totale, qu’il donne une leçon pour tout wannabe réalisateur de film de genre.

Phil75
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le 6 avr. 2016

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Phil75

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