Lina (Xi Qi, envoûtante) parvient à convaincre son mari de quitter leur province, le Dongbei, à l’extrême nord-est de la Chine. Le laissant avec leur jeune fils, elle gagnera seule la France et sa capitale, où on lui a fait miroiter un travail fortement rémunéré, qui lui permettra de financer les rêves qu’elle nourrit pour elle et sa petite famille.
En quelques traits, avec un réel art de l’ellipse, Olivier Meys, un habitué du documentaire qui signe ici son premier long-métrage de fiction, transporte son héroïne à Paris, où on la voit, tenace et inflexible, promener dans les rues et les boutiques son visage de Vierge et son profil pur aux yeux baissés. Envolée, la promesse des deux mille euros ! La jeune femme ne rencontre que des refus ou des propositions financièrement indignes.
Secondé, à l’image, par Benoît Dervaux, fréquent collaborateur des frères Dardenne, Olivier Meys capte, sans figurants, l’animation de la rue, ses glissements, ses lumières, son indifférence, si bien que la jeune Chinoise y semble tout droit débarquée d’un conte et y revêt des airs de Petite Marchande d’Allumettes. Jouant sur le décalage des savoirs, il prête au spectateur un regard qui voit plus loin que la chaste héroïne et fait de lui un souteneur ou une mère maquerelle, flairant le morceau de choix et la proie idéale.
Cependant, proscrivant tout misérabilisme, le réalisateur associe de très belles scènes, humaines, d’une infinie tendresse, à l’enfoncement de Lina dans ce qu’il est convenu de considérer comme une déchéance : grâce au personnage de Dandan (Menghuizi Zeng), prostituée plus expérimentée qu’elle qui la prendra sous son aile et la secourra à de nombreuses reprises, la jeune femme rencontrera une sorte de « sœur »-mère et apprendra à s’inscrire dans un cercle de femmes en même temps qu’elle développera sa fréquentation des hommes. Cercle féminin infiniment doux, solidaire, soyeux, qui saura faire bel et généreux accueil à celle qui ne tarde pas à amasser plus de billets que ses « sœurettes », comme elles se nomment.
À ce stade, le spectateur en vient à se demander sur quel terreau vont bien pouvoir pousser les « fleurs amères » annoncées par le titre, tant le monde entier semble sourire à la gracieuse jeune femme, passées les premières difficultés. Par un jeu d’une d’une grande finesse, Xi Qi accompagne l’évolution de son personnage, avec un peu plus d’abandon dans ses gestes, un peu moins de raideur dans son visage délicat. La tension et l’anxiété reviennent comme un coup de fouet au détour d’une conversation par Skype très habilement filmée, si bien que l’on ignore, pendant quelques secondes, la source de la contrariété. Mais, dès que celle-ci se révèle, le spectateur retrouve sa démarche anticipatrice, et devine avec angoisse, en espérant fortement se tromper, que cette jeune amie chinoise, plus rondelette et moins affûtée que Lina, et qui entend soudain venir également faire fortune en France, fera s’effondrer le fragile château de cartes et de mensonges qu’a réussi à édifier sa prédécessrice.
Dans ce versant terminal, Xi Qi referme son visage, mais plus douloureusement, et renoue avec sa délicate beauté hermétiquement close sur son secret, pour affronter le désastre et l’humiliation, tout en ne rendant pas son sacrifice radicalement inutile. Son interprétation, souvent muette, avec son visage comme seul transmetteur de messages, est confondante d’intériorité et pourrait évoquer les actrices bergmaniennes. La dernière scène, ouverte, réunissant l’épouse tenace et le mari obstiné, figé au-dessus d’un chaudron fumant, laisse simplement deviner que gagnera le plus têtu des deux. Mais lequel, entre persévérance contre vents et marées et rigidité des préjugés...?
Lina rejoint ainsi une autre « sœurette » cinématographique, « La Marcheuse » (2016) de Naël Marandin, qui illustrait également un destin féminin d’immigration chinoise en France. Deux films à la beauté délicate et au tragique discret, tout d’élégance asiatique, entre Occident et Extrême-Orient.