Œdipe Reine
Si il y a bien une chose présente dans « Les Funérailles des Roses », c’est la nature fuyante de l’image. Empapaouté d’un cachet anesthésique, cette parade œdipienne au sein de l’underground tokyoïte...
le 11 févr. 2019
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Tokyo, fin des années 60. Le cœur de Shinjuku bat plus fort que jamais : les hommes deviennent femmes, les excès sont passionnels, la fête est une constante – la pensée, aussi. Toshio Matsumoto, en grand explorateur précoce, décide d’y poser sa caméra pour son premier long-métrage : l’affolant Les Funérailles des roses, relecture queer, nippone et expérimentale du mythe d’Œdipe, rencontre explosive de la Nouvelle vague française et de l’émancipation morale (et sexuelle) japonaise. Le résultat, sorte d’hybride des formes et des influences, n’a pourtant rien de l’artifice.
D’abord fiction, puis documentaire, avant de nous abandonner dans un intermédiaire indéfinissable, Les Funérailles des roses : un brouilleur de frontières qui, derrière l’expérimentation, cache une démarche artistique profondément novatrice. Au-delà du flou, un dogme – celui d’un « nouveau réalisme ». Matsumoto fait délibérément le choix de ne pas en faire, comme si – pour lui – le documentaire et les nouveaux codes d’avant-garde initiés par les différentes nouvelles vagues n’étaient en rien incompatibles. Les langages se complètent, se répondent, et l’identité incertaine de Les Funérailles des roses naît de cette conséquentielle polyglossie. Un peu comme celle de ses personnages, d’ailleurs, ni vraiment hommes ni vraiment femmes en cette époque où les mœurs n’avaient encore rien accepté – triste vérité également admise pour les protagonistes eux-mêmes, parfois au bord d’un gouffre existentiel : comment se regarder dans une glace sans vouloir se crever les yeux ?
Les Funérailles des roses fait le funambule sur une notion subtile de distanciation, sur laquelle il ne statut jamais définitivement. Quand Matsumoto se met à interviewer ceux que l’on voyait jusque-là acteurs, ce n’est pas pour maladroitement énoncer que « oui, tout ça est bien réel ». Non, ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’histoire vraie – mais la mythologie dont il est le maître. Cette réalité qu’il reconstruit, façon plans accélérés et montages saveur JLG, à partir d’un vivier bien réel – et dont il s’amuse à reformuler l’existence même. Ce que Matsumoto remet en question, c’est le fait même d’une objectivité documentaire : sa vision du réel à lui, il l’aborde logiquement subjective.
La peinture réaliste se mute progressivement en fabrication surréaliste, méli-mélo de ruptures de tons, de rythmes, d’effets. Matsumoto expérimente les formes selon une partition sensitive, celle de cet espace physique et atypique des nuits virevoltantes de Shinjuku. Œdipe ? Un prétexte pour faire naviguer son regard et rompre les évidences. Tragicomique et poético-vérité, Les Funérailles des roses est le témoignage étonnant d’un microcosme qu’on aurait pu difficilement capter autrement qu’avec cette sensibilité teintée d’humour, cette fascination parsemée de doutes, celle d’un auteur épargné des tabous éthiques, moraux et artistiques qui avait compris que le cinéma n’était ni une fiction, ni une non-fiction, mais sa propre raison : celle d’une nouvelle réalité où ses personnages pourraient enfin s’épanouir.
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Créée
le 15 mai 2020
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