Tous ceux qui ont aimé "Guillaume" ont bien raison, et je vais, dans les lignes qui suivent, faire preuve de mon manque absolu de goût et de sensibilité.
Pire, je vais étaler au grand jour mon rôle de contradicteur blasé (@SeigneurAo) en publiant cette bafouille sans talent le LENDEMAIN MÊME de sa consécration officielle.
Vous parlez d’un opportunisme abject.
Depuis hier soir, j’ai même l’impression que Christine Boutin m’habite.
(Brrrr, je viens de relire cette association de mots, et un frisson assez désagréable m’a parcouru l’échine).
Ce récit autobiographique d’un jeune homme qui a mis près de 20 ans à découvrir la véritable nature de sa sexualité, suite à un amour immodéré pour sa mère (reprenant, tiens ! la trame qu’un écrivain, beaucoup moins doué que lui, avait mis sept tomes à péniblement gribouiller, au début du siècle dernier) m’est complètement passé au dessus, sans doute à cause de sa trop grande finesse.
Déjà, je mettais un moment à comprendre que Gallienne se jouait à tous les âges de l’enfance et de l’adolescence, provoquant dans mon cœur de routier mal dégrossi une véritable consternation quand j’assistais aux premières scènes, me demandant si l’auteur allait à ce point, et tout le long du film, grossir le trait de sa propre (et improbable) stupidité.
Réflexion faite, je me disais (avec ma sensibilité de VRP beauf des années 70) que mon propre petit dernier, lui-même affublé de grands frères jumeaux, avait déjà bien compris ce qu’il ne fallait pas dire ou faire pour éviter la vindicte fraternelle, alors qu’il n’est âgé que de 6 ans.
La circonspection restait donc de mise, l’hypothèse que ma progéniture soit particulièrement douée étant à écarter, au vu de l’épaisseur de la bêtise du père.
De fait, j’ai choisi quatre exemples pour démontrer à quel point le film est fin et délicat, tandis que l’auteur de ces lignes indignes se montre grossier et inconsistant.
1) le jeu de mot laid qui rend les gens bêtes
A un moment, à la fois drôle, poétique et hilarant, Guillaume nous raconte que Babou, sa grand-mère, commence à perdre la tête. Le symptôme: l’utilisation de mots à la place d’autres. Immédiatement après l’annonce de cette dégénérescence, nous voilà confronté à une scène repas où la-dite Babou se lance dans un délicieux monologue, digne des meilleurs volumes du Prince de Motordu, où toutes les locutions se mélangent de manière étourdissante, formant des expressions drôlatiques, ininterrompues et inoubliables.
Avec mon QI d’asperge précuite en conditionnement industriel, je n’avais pas, bien entendu, saisi l’aspect théâtre filmé du moment, qui explique de manière succulente l’absence de symptômes préalables, la parfaite construction sémantique des répliques et la disparition complète de la grand-mère ensuite.
Je ne suis qu’un bourrin mal dégrossi, j’insiste.
2) Là où passent les "uns", l’esprit ne repousse pas
Autre moment délectable: Guillaume passe les "trois jours" (je laisse à mes plus jeunes lecteurs le soin de rechercher l’origine de cette expression surannée). Il se retrouve devant un docteur et tente d’expliquer, faussement gêné et pour échapper à l’armée, qu’il a couché avec un noir. Le mot "noir" ne sort pas, il bute donc sur le "un" préalable.
Un film sans talent et non multi-césarisé se serait sans doute contenté de bafouillé quatre ou cinq "un".
Le génie de l’auteur-interprète lui permet d’en placer 35. Il faut vraiment être un paysan aux bottes crottées pour passer à côté de l’aspect jubilatoire du moment.
3) sport en salve
Autre moment délectable, l’expérience anglaise de Guillaume. Ce dernier, de la manière la plus ingénieuse et rusée, va nous montrer son inaptitude profonde au sport. Il va donc user d’un procédé inattendu pour nous dire que "à part [ce sport], tout va bien". Seul un boucher bas du front et les mains perpétuellement dans la barbaque sanguinolente ne se montrera pas surpris et enchanté par la succession de scènes qui, les unes derrière les autres, vont faire courir ce running-gag avec une précision ciselée, digne des plus grands orfèvres du rire qui ont précédé, que dis-je, annoncé Gallienne.
4) Protégeons les enfants en massage
Dernière preuve flagrante de mon impéritie coupable, les deux scènes de massage, petits moments de grâce en apesanteur, clef-de voûte d’une œuvre lumineuse qui éclaboussa de toute leur pertinence les jurés clairvoyants de l’Académie du cinéma et quelques millions de spectateurs qui nous rassurent sur l’avenir de notre art chéri. Mais je préfère finalement vous les laisser découvrir, si ce n’est déjà fait, car les résumer ici pourrait transformer le moment poétique en épisode "pipi-caca", ce qui serait si injuste.
Les amoureux de Lubitsch, Cukor ou Wilder peuvent être rassurés, le 21ème siècle vient d’accoucher de leur héritier le plus digne. Il est simplement dommage qu’un tel joyau puisse être mis en pâture à des brutes épaisses et sans esprit comme moi, qui non seulement ratent toute la finesse de l’entreprise, mais en plus se permettent grossièrement d’en parler.