Critique croisée avec THE SHAPE OF WATER
Aucune comparaison ne semble évidente entre THE SHAPE OF WATER et LES GARÇONS SAUVAGES. Un constat commun m'a pourtant frappé en analysant ces deux films. De l'un comme l'autre, je suis sorti déçu et dubitatif, me demandant ce qu'ils me racontaient profondément. Mais de chacun d'eux ressort une ambiance très singulière, laissant peu de place au texte (et peut-être aussi au sous-texte). C'est là que la comparaison s'oppose. Si on a d'un côté la douceur et la poésie à l'extrême, on a aussi à l'inverse une proposition totalement crue et subversive. Il s'agit là bien moins de faire la thèse et l'antithèse que l'analyse de deux œuvres jouant différemment sur le ressenti.
Dans THE SHAPE OF WATER tout est doux. Le rythme, la musique, le scénario, Sally Hawkins, la créature, les décors, la conclusion, vraiment tout est délicat. C'en est même lassant. On se sent trop protégé, on flotte dans le bon-sentiment et l'hommage respectueux. Les messages positifs que véhiculent cette histoire ne sont pas regrettables, mais la forme assez naïve et manichéenne du récit l'est d'avantage. Tous les personnages sont plus ou moins adorables, à l'exception de Michael Shannon, excessivement consternant de bêtise. C'est terrible de le voir cabotiner encore à ce point, proche de ce qu'il a pu faire dans MAN OF STEEL. Le rôle est vraiment sans aucune profondeur. L'aspect révérencieux au cinéma est moins problématique et les accusations de plagiats ridicules. Preuve en est que j'ai eu envie de découvrir enfin DELICATESSEN et NOUS NOUS SOMMES TANT AIMÉS. C'est plaisant de voir une version moderne et revisitée de L'ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR. Les références et clins d’œil sont peut-être justes parfois futiles. Le cinéma sous l'appartement me paraît sous-exploité dans l'intrigue.
Toute cette simplicité donne beaucoup de sensibilité et de maîtrise un film. Il s'en dégage une poésie marquante. L'imagerie et l'univers sont franchement touchants. C'est le raffinement dans son ensemble qui donnent d'aussi beaux moments. La beauté des images, de la musique et des sons, le jeu brillant de Sally Hawkins et de ses compagnons sont saisissant. Le film nous emporte sans mal et s'ancre dans un coin de notre esprit, comme un doux rêve.
Dans LES GARÇONS SAUVAGES tout est brutal. La violence de ces jeunes gens est immédiatement, entièrement et frontalement projetée au spectateur. Ce qui frappe d'entrée c'est la virtuosité et l’esthétisme avec lesquelles c'est emmené. Dès les premières scènes on joue sur les effets pour mettre en perspective la dimension dramatique des comportements des protagonistes. Certains de ces effets, tiennent de la prestidigitation, la scène du procès pour exemple. A l'inverse du film de Guillermo Del Toro, celui-ci est plein de surprises, il est même subversif. Il est provoquant comme ces garçons sauvages en question. C'est une histoire déconcertante. Sous ses aspects de fable d'épouvante, l'intrigue ne cherche pas tant à filer de subtiles métaphores qu'à tisser une bluffante métamorphose de ses jeunes brutes. Alors qu'on l'attend, qu'elle est l'enjeu du film, on se retrouve dérouté par cette conclusion. Elle concrétise pourtant de manière bluffante la construction de cette œuvre. Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. Plus qu'un récit, c'est une expérience hypnotique qui nous plonge par les sensations dans un univers singulier, sans innocence. Le film marque son emprunte, qui elle aussi reste dans notre esprit, comme un violent cauchemar.
Notre réalité n'a rien de binaire. La douceur peut être irritable et la gifle bénéfique. Si je devais faire une synthèse de l'étrange parallèle que j'ai pu faire entre THE SHAPE OF WATER et LES GARÇONS SAUVAGES, c'est celle-ci. Il faut accepter l'extrême délicatesse de l'un et la cruauté de l'autre pour saisir les profondes nuances de ces films. Ils échappent tous deux finalement à la narration didactique. Ce sont deux œuvres artistiques, personnelles et riches. Comme des rêves, on les gâche sûrement à trop les interpréter.