Ils sont rares, aujourd'hui, les films qui osent prendre leur temps et développer leur trame narrative progressivement, en approfondissant l'environnement et en posant les situations. Les gardiennes, adaptation d'un roman oublié d'Ernest Perochon, publié en 1924, est de cette race-là. Les gardiennes est un film de guerre, même s'il ne montre presque aucun combat. Il raconte comment les femmes ont maintenu l'économie, en l'occurrence ici dans la gestion d'une ferme, en l'absence des hommes. Hommage à celles de l'arrière, héroïnes sans médaille, dont on se demande bien pourquoi le cinéma a si peu décrit le sort. Pendant près d'une heure, Beauvois ne montre que les travaux des champs, alors que les saisons s'égrènent et que parfois un permissionnaire vient oublier un temps l'horreur des combats. Mais patience, le récit va intégrer des éléments dramatiques et jouer avec les sentiments des différents personnages. Le cinéaste a cependant un peu taillé dans le roman pour que la dose de malheur ne devienne pas irréaliste, à nos yeux de spectateurs, un siècle plus tard. Ample et cependant humble, le film porte bien la signature de Xavier Beauvois, celui de Des hommes et des dieux. Son sens esthétique et sa direction d'acteurs ne sont jamais en défaut. Nathalie Baye est magnifique en mère courage et trouve à qui parler en la personne d'Iris Bry, splendide, encore inconnue et qui ne devrait pas le rester très longtemps tellement la caméra est amoureuse d'elle. Le film de Xavier Beauvois, classique par sa forme, ne sera certainement pas à la mode. Tant mieux, c'est encore la meilleure façon de ne pas se démoder à l'avenir.