"Les Grandes Espérances" c’est la magnifique illustration en clair-obscur d’un amour éminemment libre, d’un amour dont on espère tout mais dont on attend rien de peur de le faire fuir comme un phalène affolé… D’un amour au-delà de la relation, libre de ne pas s’incarner, affranchi d’une attente qui se transmute peu à peu en espérance, entre Pip, un garçon naïf, de basse extraction, et Estella, une manipulatrice, élevée pour briser le coeur des hommes, ceux-là mêmes à qui elle réservera ses plus belles danses, ses toilettes étincelantes et ses paroles venimeuses, telle une ultime provocation à l’amour sincère : "Je suis sans coeur, voilà peut-être pourquoi j'oublie." (...) "Bien sûr j'en ai un qu'on peut poignarder mais il est sans pitié, douceur ou sentiment." (...) "Rappelez-vous comment on m'a élevée et n'attendez pas trop de moi."
Car face à celui qui l’aime nul besoin de masque, l’amour pur anéantissant de sa lumière impitoyable les ombres de celle qui fuit le grand amour de peur d’être confrontée à ce qu’elle a si bien tenu à distance toute sa vie.
La très esthétique scène de la mort par le feu de la mauvaise mère au coeur brisé qui perpétue sa vengeance à travers sa fille adoptive évoque la purification nécessaire d’une âme humiliée par la perte de l’amour… La chambre-mausolée à la gloire de l’amour perdu, le banquet nuptial comme indigne vestige d’une douleur qui a figé autour d’elle un temps devenu fardeau, à la manière d’un linceul recouvrant un coeur et un corps sidérés, devenus trop lourds à porter, pour se muer enfin en un tombeau poussiéreux jalonné de ténèbres mais dont on invite pourtant quelques enfants à jouer autour, de peur d’oublier leurs rires bientôt…