Je précise que j'adore cet écrivain (adorais ?), et que j'ai quasiment tout lu de lui, mon préféré étant "D'autres vies que la mienne", comme beaucoup de gens...
Pour commencer, ce livre (qui n'est pas un roman, rappelons-le, car tout l'enjeu est là ; l'auteur parle de "récit", alors même que son ex-compagne conteste les faits la concernant !) ne parle absolument pas de yoga, à aucun moment. Il parle vaguement de tai-chi et de méditation, pour ceux qui auraient passé les 20 dernières années dans une grotte et qui ignoreraient encore ce que sont ses pratiques de pleine conscience asiatiques. Bon. Nous avons donc droit, dans toute la 1re partie (près de la moitié du livre) à un compte rendu purement factuel de la retraite Vipassana que l'écrivain a effectuée (stage de méditation intensive de 10 jours en silence dans un trou paumé) -- pendant que l'équipe de Charlie Hebdo se faisait dézinguer à l'autre bout de la France -- dans le but avoué d'en tirer un livre... Si si. Ah oui, et j'oubliais, Manu est bien sûr un dieu du sexe tantrique, donc il entrecoupe tout ça de ses frasques adultéro-extatiques avec sa dernière maîtresse en date (bah oui il est heureux en amour mais il ne peut pas s'en empêcher ; rappelons-le, sa seule préoccupation est d'être un grand écrivain, il lui faut donc de la matière, sinon qu'écrirait-il ?). Comme dans son 1er roman autofictif, "Un roman russe", c'est cet aspect-là qui m'a le plus gênée : le ton présomptueux, surfait, sans aucun recul, et le style, d'une platitude affligeante, est à l'image de tout le bouquin. Pour quelqu'un qui médite pour se débarrasser de son ego encombrant, on repassera.
Pendant des pages et des pages, Emmanuel Carrère se confie donc (maladroitement) sur le mal-être qui le ronge depuis des dizaines d'années : sa bipolarité (ou maniaco-dépression) : "J'ai beaucoup répété qu'il faut respecter ses souffrances, ne pas les relativiser, que le malheur névrotique n'est pas moins cruel que le malheur ordinaire, mais quand même : rapporté à l'arrachement qu'ont vécu et que vivent ces garçons de seize ou dix-sept ans (des migrants), un type qui a tout, absolument tout pour être heureux et se débrouille pour saccager ce bonheur et celui des siens, c'est une obscénité que je me vois mal leur demander de comprendre et qui donne raison au point de vue de mes parents selon lequel, pendant la guerre, on n'avait pas tellement le loisir d'être névrosé."
Et la seule phrase intéressante de tout le bouquin :
"On m'a quelquefois dit qu'il fallait beaucoup de courage pour se peindre, comme je le fais dans mes livres, sous un jour peu flatteur. Ce n'est pas vrai, dis-je à Wyatt Mason. Ce n'est pas du courage, ou si c'est du courage c'est le courage du général Massu quand il s'applique à lui-même la gégène. Comme lui, j'arrête quand je veux, c'est moi qui décide où placer le curseur. Alors qu'en écrivant sur les autres on passe ou peut passer du côté de la vraie torture, parce que celui qui écrit a les pleins pouvoirs et celui sur lequel il écrit est à sa merci. Dix ans auparavant, dis-je aussi à Wyatt Mason -- qui sait parfaitement de quoi je parle, son professionnalisme me sidère --, j'ai publié un livre autobiographique appelé Un roman russe. Je m'y suis mis à nu, très bien, ça me regarde, mais j'ai fait subir le même traitement à deux personnes, ma mère qui redoutait que je révèle un secret de famille, et ma compagne de l'époque dont j'ai étalé l'intimité affective et sexuelle sous prétexte qu'étant inextricablement mêlée à la mienne elle m'appartenait autant qu'à elle. Ce double déballage a produit de la souffrance mais pas de catastrophe, Dieu merci. N'empêche : j'ai franchi une ligne qui n'aurait pas dû être franchie."
Pour compléter, voici le droit de réponse d'Hélène Devynck, son ex-compagne : https://www.vanityfair.fr/culture/voir-lire/articles/droit-de-reponse-helene-devynck-l-ex-compagne-demmanuel-carrere-repond-a-la-polemique-autour-de-yoga/81120?fbclid=IwAR1l4qe9od1C9GS8lnE8i%C2%A4%C2%A3%C2%A3%C2%A42D%20H%C3%A9l%C3%A8ne%20Devynck1%C2%A4%C2%A3%C2%A3%C2%A48dv24WbCZla6M
Pour conclure, je dirais donc que ce livre est médiocre, ne vaut pas le coup d'être lu et n'aurait jamais dû dépasser le stade du brouillon rangé dans un tiroir ou donné à son psy (à la limite). Que si l'édition avait encore des éditeurs (qui retravaillent et font retravailler les textes, j'entends, pas de simples fabricants de produits) et si la Littérature était, un jour, une préoccupation majeure des écrivains, cette époque est révolue. Que, la règle, si on ne sait pas quoi écrire, c'est de ne pas le faire. Que les règlements de comptes d'écrivains surmédiatisés avec leur ex-compagne (je pense à Enthoven fils et consort par exemple...) par livre interposé aux frais du lecteur lambda, y en a marre. Qu'un roman sans style c'est déjà affligeant mais un récit-qui-n'est-pas-un-roman-mais-qui-ne-dit-pas-non-plus-la-vérité sans style c'est le degré zéro de la littérature, et qu'aujourd'hui, la "littérature contemporaine" doit sérieusement se remettre en question.
Et en plus, y a des fautes.