Ceux qui suivent Emmanuel Carrère fidèlement depuis Bravoure et La moustache regrettent que l'auteur en ait fini avec la fiction car il y a démontré un talent que peuvent lui envier la plupart des romanciers français actuels. Cela dit, même quand il parle de lui dans Yoga, tout n'est pas rigoureusement exact, comme il l'avoue à un certain moment du livre. Cependant, c'est bien d'une littérature du "je" qu'il s'agit, qui serait très ennuyeuse chez beaucoup d'écrivains et qui est absolument passionnante dans son cas, tout simplement parce qu'il est l'un de mes meilleurs stylistes de notre littérature et qu'il possède tout en magasin : humour, ironie, empathie, intelligence, lucidité. Yoga peut sembler chaotique, il est surtout cahoteux, comme tout chemin humain dans l'existence, mais plus particulièrement dans le cas de l'auteur, dont le point d'orgue du récit est son hospitalisation et le traitement de sa "folie" liée à son tempérament bipolaire. Après les pages consacrées au yoga et à la méditation et avant celles dédiées au terrorisme et aux migrants, il est très paradoxal de se retrouver au chevet d'un être aussi torturé et sujet à la dépression. Oui, Emmanuel Carrère est quelqu'un de complexe mais son expérience de vie et la manière de la raconter nous ramènent peu ou prou à notre propre existence, avec ses contradictions, ses élans et ses périodes de détresse. Il écrit sur lui, certes, mais il n'est pas si éloigné d'autres vies que la sienne, pour paraphraser un autre de ses ouvrages. En tous cas, Yoga ne touchera sans doute pas tout un chacun mais certainement tous ceux qui luttent contre les "chiens noirs" ou qui essaient, avec leurs moyens, de trouver des parts de lumière dans la souffrance d'exister