Sur un roman de José Giovanni qu'il a transformé en scénario, d'après un projet voulu par Lino Ventura, Robert Enrico signe un bon film d'amitié virile et de bons voyous, en évitant habilement les écueils du mélodramme généreux, de la complaisance et du film d'action pure en racontant la belle histoire d'un homme libre et entêté autour d'une scierie vosgienne qui embauche des gars solides sortis de prison, face à un ignoble concurrent.
On se retrouve au coeur des Vosges captées par de belles images pour une sorte de polar sylvestre, mais qui n'en a que l'apparence, car il s'agit surtout d'un drame social où des bûcherons d'occasion profitent de l'air pur mais savent aussi jouer des poings. Plusieurs histoires d'honneur et de vengeance s'enchaînent et s'imbriquent dans un ton dramatique agrémenté d'humour et de bonnes bagarres.
Point de discours moral apparent avec une kyrielle d'éléments pesants comme la rédemption par le travail, le triomphe de la volonté ou les bienfaits de l'oxygène, le réalisateur offre un récit riche en péripéties et en bonnes scènes spontanées que l'on regarde avec un réel plaisir. Les acteurs participent beaucoup à cet état d'esprit grâce à des rôles taillés à leur mesure ; Bourvil trouve un rôle profond qui le sort de son registre comique, face à Ventura plus dans son élément ici, mais on apprécie aussi la fraîcheur de Marie Dubois et la truculence de Jess Hahn (avec qui Lino se payait une bagarre homérique dans les Barbouzes) et de Michel Constantin (avec qui Lino fera équipe dans Ne nous fâchons pas tourné la même année). Un bon film d'atmosphère, tourné sur les lieux mêmes près de Gérardmer, du temps où le cinéma français avait encore une légitime qualité.