Abstrait, poétique, visionnaire et pessimiste : tel est le monstre étrange et fabuleux que nous donne à voir Bela Tarr.
Créature bizarre, ce film renferme abstraitement dans chacun de ses 39 tableaux des concepts constituant l'essence de l'être: la création, la lumière, la nuit, le départ, le sacrifice, le regard, le chaos, la révolte, la haine, la pitié, la fuite, la mort, etc. Essayer de l'appréhender avec une lecture du récit habituel apparaît ainsi vain: il s'agit plutôt d'une poétique moderne du fragment, cherchant non pas à expliquer le monde ou à le raconter mais plutôt à le rendre sensible, sans pour autant négliger la cohérence en soignant magnifiquement ses transitions, donnant à l'ensemble l'harmonie si désirée.
Pour cela, Bela Tarr use des plus effets cinématographiques, pleinement maître de son art. Le recours constant au plan séquence, où s'expriment librement temps et espace, et au travelling, principalement arrière et avant, forment les points essentiels d'une esthétique écrite en noir et blanc sous l'égide de l'ombre et de la lumière.
Embrasser une telle œuvre à priori absconse n'est point aisé: d'aucuns s'y méprennent, s'y cassent les dents, égarés par cette éthique si abstraite du sens. Néanmoins, il ne faut pas se tromper, Les Harmonies Werckmeister appartient bel et bien à la famille des chefs d’œuvre.